FMI : la fronde des Brics

Une réforme du FMI pourrait faire perdre leur veto aux États-Unis.

Gérard Duménil  • 24 avril 2014 abonné·es

Le G20 réuni récemment a vu monter la pression que les pays émergents, Brics [^2] en tête, font peser sur les États-Unis, concernant les quotas de participation des différents pays au sein du FMI. Une réforme a été décidée en 2010, mais n’a pas été appliquée du fait de la résistance des États-Unis (des Républicains). Un enjeu important est le doublement du capital du FMI, visant à lui permettre d’étendre ses actions. Ce qui implique des contributions accrues.

Le plus intéressant est ici l’arrière-plan de politique internationale. La réforme inclut une redistribution de l’actionnariat, qui pourrait faire perdre aux États-Unis leur droit de veto de fait. Et l’Europe, où l’inquiétude monte aussi face à cette fronde, n’est pas mécontente des résistances opposées par la droite états-unienne. Les pays dits des « périphéries », dont l’importance relative ne cesse de s’accroître, veulent avoir voix au chapitre, et ont déjà élaboré plusieurs plans d’auto-organisation, notamment la création d’une banque et d’un fonds de réserves en devises.

Il faut bien saisir les raisons profondes des résistances des pays émergents. Dans les années 1990, en Corée, en Asie du Sud-Est, en Russie, en Amérique latine (en 2001 en Argentine), les mouvements de capitaux font des ravages. Le FMI doit alors autoriser des limitations à ces mouvements [^3]. Les grandes institutions financières (fonds spéculatifs en tête) se livrent au « carry trade »  : des capitaux sont empruntés dans un pays à bas taux d’intérêt et prêtés à des taux élevés dans d’autres pays ou investis en Bourse. Ces pratiques provoquent d’énormes transactions de change, modifiant le cours des monnaies dans un sens ou dans l’autre, et causent des gonflements et éclatements de bulles boursières.

Les choses deviennent vraiment graves lorsque le colosse états-unien décide de régler ses propres affaires sans se soucier des autres. Tout le monde se souvient du fameux « coup de 1979 », lorsque la Réserve fédérale des États-Unis a augmenté ses taux d’intérêt à des niveaux extraordinaires. Ce geste dont l’auteur, Paul Volcker, déclara qu’il avait été effectué sans se soucier des pays du tiers-monde endettés a provoqué la crise de la dette des années 1980 dans ces pays. On comprend que les pays émergents soient, de nouveau, inquiets, lorsqu’ils voient la Réserve fédérale mettre en œuvre des politiques du crédit dites « non conventionnelles », afin d’empêcher leur économie de retomber en récession. Tout est fait, aux États-Unis, pour maintenir les taux d’intérêt à long terme à des niveaux très bas (alors que les taux courts sont déjà à zéro). Les entreprises de ce pays, encouragées par ce faible coût de l’emprunt, ne demandent qu’à exporter des capitaux dans le monde.

Ce qui donne froid dans le dos est ce qui pourrait advenir dans l’hypothèse de la remontée de ces taux, à savoir la décision de rembourser ces emprunts et le retrait correspondant de ces financements ! Les pays menacés déclarent, dans un langage très diplomatique, souhaiter davantage de « coordination des politiques monétaires ». On les comprend. En attendant, ils voudraient voir leurs pouvoirs accrus au sein du FMI.

[^2]: Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud.

[^3]: La Grande Bifurcation. En finir avec le néolibéralisme , G. Duménil, D. Lévy, La Découverte, grande bifurcation.wordpress.com

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