Front de gauche-EELV : Je t’aime, moi non plus…

La sortie d’EELV du gouvernement ouvre pour certains l’espoir d’un rassemblement plus large à la gauche du PS. De là à distinguer les prémices d’une recomposition politique…

Pauline Graulle  • 10 avril 2014 abonné·es

Ce ne sont plus des œillades, c’est une véritable invitation que le Parti de gauche (PG) a adressée aux écologistes ces derniers jours. Au lendemain du second tour des municipales, Jean-Luc Mélenchon avait déjà multiplié les tweets enthousiastes pour Éric Piolle, le nouveau maire Europe Écologie-Les Verts (EELV) de Grenoble ( « Puissiez-vous être notre futur »  ;  « De Grenoble, nous recevons une grande espérance et un vent frais »… ). La décision des écolos de quitter le gouvernement n’a fait que redoubler son empressement. Une « Adresse au conseil fédéral d’EELV » a été publiée par le PG deux jours avant leur réunion samedi :  « Votre départ du gouvernement rend possible un autre scénario. Nous souhaitons construire une convergence entre EELV et le Front de gauche », affirme le parti de Mélenchon. Même le PCF, dont on connaît les différends historiques avec l’écologie, a tenté une approche. « Aux écologistes, je dis : travaillons ensemble pour reconstruire une feuille de route partagée, une ambition commune, l’espoir d’une alternative politique à gauche », a clamé Pierre Laurent. Une « nouvelle gauche » allant du NPA aux socialistes critiques en passant par les Verts… Le rêve de Mélenchon d’un « nouvel arc de forces très large » comme « majorité alternative » au « hollandisme » enfin à portée de main ? À défaut, le rapprochement souhaité avec les Verts permettrait de sortir le PG de son tête-à-tête conflictuel avec le PCF (voir Politis n° 1297). Rien à voir avec la politique politicienne, assure pourtant Éric Coquerel : « Il ne s’agit pas d’une fusion, mais de voir comment on peut converger dans un programme commun pour gouverner à un niveau régional ou au-delà », affirme le secrétaire national du PG, qui cite en exemple l’expérience grenobloise de l’alliance EELV-PG aux municipales.

Un modèle qui ne déplaît pas non plus à Myriam Martin, porte-parole d’Ensemble !, la composante du Front de gauche (FG) issue, de la Fase et du NPA :  « Même si la recomposition EELV-FG n’est pas pour demain matin, il faut absolument commencer à se parler sur le terrain des résistances. On doit être dans une philosophie de la main tendue », fait-elle valoir. Côté PCF, on se montre plus prudent : « On cherche bien sûr les formes d’un rassemblement le plus large. Faut-il pour autant parler d’un rapprochement entre le FG et EELV ?, s’interroge Francis Parny, qui a pourtant conduit une liste FG-EELV à Garges-lès-Gonesse. Et puis, pour se rapprocher, il faut être deux. » Car Mélenchon a beau affirmer que « les premiers dîners en ville sont encourageants », pour l’instant, ça coince chez les écolos. Comme une impression de déjà-vu : en 2009, déjà, lorsque Mélenchon avait proposé à Daniel Cohn-Bendit, en direct sur France Inter, de faire un accord de second tour entre les listes FG et EELV aux régionales, « Dany » avait refusé de faire alliance « sur le dos d’un tiers », autrement dit du PS. La semaine dernière, Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’EELV, a elle aussi douché les ardeurs du PG par un lapidaire « Je ne suis pas dans une opposition stérile ». « Je le dis à nos partenaires, notamment ceux qui font des adresses à notre conseil fédéral : pas plus que nous ne sommes le supplément d’âme des socialistes, nous ne serons celui de l’autre gauche  », a-t-elle répété ce week-end boulevard de la Villette (voir p. 8). « Pas question pour moi, pour nous, de participer à une quelconque opposition de gauche, a renchéri Cécile Duflot à la tribune. Jean-Luc Mélenchon et ses amis, qui, hier, n’avaient pas de mots assez durs pour nous stigmatiser  […], semblent soudain touchés par la grâce et veulent nous embrasser comme du bon pain. » « Pour l’instant, on est en train de retrouver notre autonomie, tempère Julien Bayou, un des porte-parole des Verts et figure de l’aile gauche du parti, qui souligne d’ailleurs que la réussite grenobloise est au moins autant due à l’attelage EELV-PG qu’à la mobilisation citoyenne. Alors, parler de nouvelles alliances, c’est très prématuré, voire contre-productif. » C’est que, pour l’heure, il s’agit de rassurer « l’aile droite » : ces deux tiers de députés qui n’arrivent pas à avaler la sortie du gouvernement, et pour qui Mélenchon est un repoussoir.

Peut-on être écologiste et, pour autant, ne pas militer à EELV ? Pour Jean-Luc Mélenchon, qui présentait encore mardi 1er avril sa vision de « l’écosocialisme » aux étudiants de Sciences Po Toulouse, la réponse est oui. Si le Parti de gauche n’a pas inventé l’écosocialisme (terme né dans les années 1970), il l’a réactualisé dans un manifeste publié en 2012, porté à travers le monde notamment par Corinne Morel-Darleux. « Nouveau projet politique réalisant la synthèse d’une écologie nécessairement anticapitaliste et d’un socialisme débarrassé des logiques du productivisme », l’écosocialisme a pour indicateur la « règle verte » – comme le libéralisme a sa « règle d’or ». Il passe par une neutralisation des gaz à effet de serre, l’arrêt du nucléaire, la réduction de la consommation, la réindustrialisation écologique… Il met aussi en œuvre la « planification écologique », qui impose « la prise en compte du temps long et la maîtrise publique, le tout placé sous contrôle des citoyens, travailleurs et usagers ». Une doctrine « du vieux monde » qui ne convainc pas l’eurodéputé EELV Pascal Durand : « L’écologie politique n’est pas un supplément d’âme, même sincère, accolé à la vision productiviste du socialisme. C’est une alternative politique au libéralisme, mais aussi au socialisme. » Un socialisme libéral porté par le PS, avec lequel EELV n’a pourtant jamais rechigné à travailler quand les écolos étaient au gouvernement…

D’autant que, si les convergences existent sur la politique sociale, le refus de l’austérité ou la nécessité d’une VIe République, et s’il existe des passerelles entre anti-libéralisme et décroissance, les désaccords ne sont pas minces entre le FG et EELV. Outre la sortie du nucléaire (loin d’être acquise place du Colonel-Fabien), la question européenne fait figure de gouffre béant entre les fédéralistes « verts » et les eurosceptiques « rouges ». Enfin, Mélenchon est aussi jacobin que les écolos sont girondins. De quoi imaginer le pire, ne serait-ce que sur la question des langues régionales aux élections de 2015 ! Et puis il y a ces relations pour le moins floues entre EELV et le PS. Lequel reste encore le partenaire majoritaire au niveau local. « Certes, les électorats FG et EELV peuvent s’additionner, analyse Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique proche de la « ligne Cosse ». Certes, l’exemple de Grenoble est une option. Mais il y a aussi celle de Nantes, où l’accord EELV-PS a très bien fonctionné. » Manière de souligner que la reconstruction d’une dynamique PS-EELV sur une ligne plus à gauche serait préférable à une entrée dans l’opposition aux côtés d’un Mélenchon qu’il juge « populiste ». « La question qui se pose n’est pas celle du renversement des alliances, mais celle de construire une majorité de transformation écologique et sociale. D’une part, j’estime que “l’écosocialisme” de Mélenchon est insuffisant à offrir une vraie alternative (voir encadré). D’autre part, EELV considère que le travail avec l’ensemble des députés de la majorité présidentielle peut donner un second souffle au gouvernement », explique de même Pascal Durand, tête de liste aux européennes en Île-de-France. « Je n’ai pas le gauchisme honteux, mais encore faut-il savoir ce que l’on veut faire ensemble, poursuit l’ex-secrétaire national des Verts. Si c’est juste pour le plaisir de chanter “l’Internationale”, ce n’est vraiment pas à la hauteur. »

On ne sait pas s’ils reprendront « l’Internationale » en chœur, ni même combien ils seront. Reste qu’une partie des militants EELV ira battre le pavé le 12 avril, lors de la marche contre l’austérité organisée par le Front de gauche. « Nous défilerons non pas avec telle ou telle personnalité au verbe haut qui serait devenue infréquentable [autrement dit, Mélenchon, NDLR]. Là n’est pas la question. Nous serons dans la rue avec toutes les forces sociales qui ne renoncent pas à une politique de gauche et écologiste pour changer le cap de la France et infléchir celui de l’Europe », écrivent-ils dans une tribune signée par le conseiller de Paris Jérôme Gleizes, le maire du IIe arrondissement Jacques Boutault, ou Élise Lowy, membre du bureau exécutif. Une tribune qui a horripilé les gardiens de la « ligne » : « Comme nous le craignions, certains profitent de la situation de retrait du gouvernement pour déporter EELV vers Mélenchon », a twitté le député François de Rugy. « Il n’y a rien d’extraordinaire à aller manifester, ça ne veut pas dire se mettre à la remorque », répond tranquillement Élise Lowy, qui estime « tout à fait envisageables » quelques accords aux régionales.

Avis de gros temps sur le parti de Cécile Duflot ? « Il va se couper en deux, comme le PS », prophétisait Mélenchon fin janvier. « On retrouve les clivages qui ont toujours existé au sein du mouvement », assure Élise Lowy, habituée des remous internes. « Moi, je m’inquiéterais plutôt pour le Front de gauche, ironise Ronan Dantec. Si, après être sortis du gouvernement, nous quittions la majorité, c’est son électorat qui pourrait venir vers nous. Pas l’inverse. »

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