Le sursaut des godillots

Quatre-vingts députés ont réclamé d’être entendus et associés aux décisions du gouvernement.

Michel Soudais  • 9 avril 2014 abonné·es

Rien ne sera plus comme avant. En votant mardi la confiance au gouvernement de Manuel Valls, près d’un quart des députés socialistes se raccrochaient à l’espoir que les parlementaires seraient enfin écoutés, consultés, entendus. « L’époque où, même en désaccord, on était amenés par solidarité ou discipline à voter les textes est révolue », a déclaré le député Jean-Marc Germain au quotidien l’Opinion. Époux d’Anne Hidalgo, ce député des Hauts-de-Seine doit l’essentiel de sa carrière politique à Martine Aubry, dont il a été le directeur de cabinet quand elle était à la fois présidente de Lille Métropole et première secrétaire du PS, et il ne passe pas pour un agitateur. L’an dernier, c’est lui qui rapportait le projet de loi dit « de sécurisation de l’emploi », lequel traduisait l’accord national interprofessionnel (ANI), très décrié à gauche. Jean-Marc Germain figurait pourtant parmi les 86 personnalités socialistes, dont 80 députés, signataires d’un texte rendu public le week-end dernier et réclamant un « nouveau contrat de majorité » .

Un texte qui laisse transparaître toute l’amertume des signataires à l’égard de l’exécutif : « Depuis de longs mois, les élus locaux et les députés avaient alerté sur le fossé qui se creusait entre la gauche au pouvoir et son électorat », écrivent-ils, convaincus que « les Français n’ont pas changé depuis le 6 mai 2012 », mais « sont déçus ». Soucieux d’ « agir et ne pas subir », ils affirment que « le temps du Parlement est venu ». Godillots jusqu’ici trop sages, ils réclament d’être réellement associés aux décisions du nouveau gouvernement et listent les orientations qu’ils privilégient. Tout d’abord « obtenir une réorientation européenne mettant fin aux politiques d’austérité qui ont enfoncé l’Europe dans la récession ». Ensuite « concentrer les moyens publics sur la création réelle d’emplois », en clair : remplacer « les mesures les plus coûteuses et sans conditions actuellement envisagées dans le pacte de responsabilité » par « un pacte national d’investissement, négocié jusqu’au niveau des entreprises ». Au menu également, la défense du pouvoir d’achat avec « des mesures en faveur du pouvoir d’achat, la réforme fiscale et la CSG progressive » et un « effort en faveur des retraites les plus modestes ». « Ce que nous voulons, c’est qu’on revienne au programme pour lequel nous avons été élus », résume dans le Télégramme Philippe Noguès, un député du Morbihan. Un retour aux « 60 engagements de 2012 et à l’esprit du Bourget », complète son collègue finistérien Richard Ferrand. De fait, sur plusieurs sujets, le texte veut « réaffirmer et amplifier les choix et les engagements de 2012 ». Que ce soit pour « muscler les efforts de régulation des activités financières et bancaires », « rendre populaire la transition écologique », transformer l’État et les collectivités locales, « défendre l’égalité des territoires » ou « revitaliser la démocratie française », les signataires font entendre une petite musique différente de la partition jouée jusqu’ici par le gouvernement.

C’est la première fois qu’un nombre aussi important de députés socialistes signent un texte qui, sans demander tout à fait un changement de cap, remet autant en cause la politique menée par l’exécutif. Le 9 octobre 2012, sur le projet de loi de ratification du traité budgétaire européen, 17 députés avaient voté contre, 9 s’étaient abstenus. En avril 2013, ils n’étaient que 4 à refuser la loi dite de « sécurisation de l’emploi », 36 s’abstenant. Alors que la réforme des retraites n’avait enregistré que 18 abstentions. À chaque fois, les contestataires se recrutaient essentiellement dans les rangs de la gauche du PS. Si les représentants des courants Maintenant la gauche (Emmanuel Maurel, Marie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedj) et Un monde d’avance (Guillaume Balas, Henri Emmanuelli, Pouria Amirshahi…) sont bien parmi les initiateurs du texte ( Politis n° 1297), d’autres courants ont aussi travaillé à sa rédaction : la Gauche populaire (Laurent Baumel, François Kalfon), la Gauche durable (Christian Paul), ainsi que les Reconstructeurs, un groupe constitué fin 2007 qui avait porté la candidature de Martine Aubry à la tête du PS.

Figurent ainsi parmi les signataires des élus que l’on n’attendait pas avant le traumatisme électoral des municipales. Comme le député Christian Eckert, rapporteur du Budget au sein de la commission des Finances, ou Pierre-Alain Muet, son vice-président, qui a présidé l’Association française de science économique. Mais également Catherine Lemorton, la présidente de la commission des Affaires sociales, ou Pervenche Berès, qui conduit une commission similaire au Parlement européen. Mardi midi, il ne faisait pas de doute que la quasi-totalité des 291 députés PS et apparentés voteraient la confiance au gouvernement. Dans la matinée, Manuel Valls avait été très applaudi à l’issue de ses explications devant le groupe ; « sauf par trois ou quatre irréductibles », a déploré le député stéphanois Jean-Louis Gagnaire. À moins de prendre le risque d’une dissolution, les députés socialistes « savent qu’ils sont condamnés à réussir », selon le mot de leur président de groupe, Bruno Le Roux, qui a tout de même dû leur adresser une longue missive en forme de rappel à l’ordre. Mais Manuel Valls est averti. Avec un groupe PS qui n’est majoritaire à lui seul que de deux voix, et un quart de ses membres sur la réserve, le gouvernement devra convaincre ses troupes de l’intérêt de chacun de ses projets de loi. Exercice délicat.

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