Manuel Valls, à contre-pied de la gauche

Manuel Valls s’est construit en opposition aux idées de son parti, qui en fait aujourd’hui son héraut. « Socialiste, ça ne veut plus rien dire », déclarait-il en 2008.

Michel Soudais  • 3 avril 2014 abonné·es

Retour à Matignon. Manuel Valls connaît la maison. Il y a passé trois ans et demi auprès de Lionel Jospin comme « conseiller en communication ». Des années essentielles dans le parcours de cet apparatchik. Appelé auprès du Premier ministre après une défaite aux législatives à Argenteuil, il s’y fait connaître du gratin des médias et des instituts de sondage. Et s’y forge un solide carnet d’adresses bien utile quand, élu maire d’Évry en 2001 puis député en 2002, le jeune loup affichera sans complexe ses ambitions.

Sa nomination, à 51 ans, au poste occupé par Jean-Marc Ayrault consacre le parcours d’un professionnel de la politique, hyperactif et travailleur forcené qui a su se rendre incontournable à son poste de ministre de l’Intérieur, une fonction qui l’a constamment placé sous les feux de l’actualité. Cette ascension pourrait être l’histoire d’une édifiante revanche sociale, celle d’un fils d’immigré catalan ayant gravi les échelons, sans passer par les cases ENA ou grandes écoles, avec une simple licence d’histoire. « Pourrait »… Car les origines sociales de sa famille et son environnement intellectuel ne présentent aucune des caractéristiques d’un milieu populaire : un père peintre, une maison-atelier face à l’Île-Saint-Louis, fréquentée par Jankélévitch ou Hugo Pratt… Et, surtout, Manuel Valls a construit sa notoriété en affichant sur de nombreux sujets des positions systématiquement contraires à la pensée de gauche.
Après le 21 avril 2002, en constante recherche de notoriété, il multiplie les coups d’éclat. On le découvre tour à tour pour des « quotas » d’immigration, l’alignement des régimes spéciaux de retraite sur le régime général et l’allongement de la durée de cotisation, le recul de l’âge de départ à 65 ans, favorable à une remise en question des 35 heures, opposé à l’assistanat ou aux « fatwas anti-OGM » … Cet art du contre-pied n’évite pas toujours les contretemps. Comme lors du débat sur le traité constitutionnel européen. À l’automne 2004, au sein du PS, Manuel Valls milite avec fougue pour le « non » au traité constitutionnel européen, mais le parti dit « oui ». Sanctionné par Hollande pour cela, il vote « oui » quand les Français votent « non ».

Il campe désormais à l’extrême droite du PS, qu’il appelle en 2008 à changer de nom. « Socialiste, ça ne signifie plus rien », lance-t-il dans un essai au titre explicite : Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche. Martine Aubry le rappelle sèchement à l’ordre, mais l’insolent est encensé dans les médias qui raffolent de ce « briseur de tabous », homme d’ordre qui a fait sienne une formule d’Auguste Comte –  « L’ordre pour base, le progrès pour but »  – et ose revendiquer l’héritage controversé du radical Georges Clemenceau, y compris dans sa querelle avec Jean Jaurès. Les électeurs de gauche apprécient moins : candidat à la primaire socialiste en 2011, Valls ne rassemble que 5,6 % mais, habile, se range derrière Hollande, qui en fait son directeur de la communication pour la présidentielle.
La Place Beauvau sera sa récompense. Manuel Valls peut y trancher les débats idéologiques du PS… en sa faveur. Sur la vidéosurveillance –  « Une caméra n’est ni de droite ni de gauche »  –, les Roms, dont il détruit des campements sans ménagement, les expulsions qu’il encourage comme le faisait Sarkozy, le droit de vote des étrangers qui n’est « pas la priorité » … Porté par de bons sondages d’opinion et une éditocratie qui loue son franc-parler, vante ses idées économiques empreintes de blairisme, et l’intronise « vice-président », le « bad boy » du PS a sans doute séduit Hollande autant par ses convictions libérales que sa pugnacité de bretteur.

Les électeurs seront plus difficiles à convaincre. Dimanche, Manuel Valls était encore candidat à Évry. En troisième position. L’abstention y a atteint 58,7 %, le deuxième plus haut niveau des villes de plus de 10 000 habitants. Ni véritable adhésion ni franc rejet. En ces temps difficiles pour l’exécutif, cela suffit à contenter François Hollande.

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