Mensonge 1 : Un modèle de démocratie

Le bilan de la construction européenne est peu flatteur : absence de transparence, technocratie, mépris des différences nationales…

Michel Soudais  • 24 avril 2014 abonné·es

La construction européenne a longtemps été présentée comme « la première expérience réussie de démocratie supranationale d’États et de citoyens [^2] ». Cette vision idyllique conserve quelques adeptes. Elle apparaît toutefois de plus en plus irréelle. Même le président du Parlement européen, le très européiste Martin Schulz, candidat des socialistes européens à la présidence de la Commission européenne, est forcé d’admettre que « l’Europe n’est pas suffisamment démocratique ». Sans nier la part de calcul politique que contient cet aveu d’un socialiste en campagne, celui-ci n’est pas sans rappeler le diagnostic établi par les chefs d’État et de gouvernement au sommet de Laeken, en décembre 2001. Ces derniers avaient dressé alors, dans une « déclaration sur l’avenir de l’Europe », un bilan peu flatteur de la construction européenne : déficit démocratique, institutions technocratiques, absence de transparence et de visibilité, médiocrité des avancées dans les domaines sociaux et environnementaux, mépris des différences nationales et régionales. Douze ans plus tard, aucune correction d’ampleur n’a modifié ce tableau. Bien au contraire.

L’architecture institutionnelle n’a pas fondamentalement changé. Certes, le rôle du Parlement européen, seule instance élue au suffrage universel, a été renforcé par l’extension de la procédure de codécision à une quarantaine de domaines. Mais il n’a toujours pas la plénitude du pouvoir législatif et du pouvoir de contrôle. Il ne vote pas les recettes du budget – prérogative essentielle de tout parlement – et pas toutes les dépenses. Les questions monétaires, fiscales, commerciales ou agricoles, pourtant de la plus haute importance, sont hors de son champ de compétence. En revanche, la Commission cumule des pouvoirs exécutifs (exécution des budgets, coordination, gestion…), des pouvoirs législatifs (initiative des lois) et judiciaires (surveillance de l’application du droit), dans le plus total mépris de la séparation des pouvoirs, qui est pourtant une garantie contre l’arbitraire. Échappant à tout véritable contrôle du Parlement comme du Conseil, elle peut refuser les initiatives que ces derniers et les citoyens (depuis l’introduction dans le traité de Lisbonne du droit d’initiative citoyenne) lui demandent de prendre.

Qu’il siège en « sommet » (des chefs d’État ou de gouvernement) ou en conseil des ministres, le Conseil, troisième pilier institutionnel, prend ses décisions et ses arbitrages selon les normes de la diplomatie traditionnelle, caractérisée par le secret, ce qui ne favorise pas le contrôle démocratique. Ce panorama serait incomplet sans mention de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Cour de justice de l’Union européenne, deux instances suprationales qui échappent à tout contrôle des citoyens et de leurs représentants élus. La première décide de la politique monétaire en toute indépendance par rapport aux instances élues, mais en harmonie avec les attentes du monde de la finance, dont ses dirigeants sont issus. La seconde, constituée de juges nommés pour huit ans, tend par ses jurisprudences à se transformer en législateur bis. A-démocratique dans ses institutions, conçues pour « éviter les pressions directes des cycles électoraux nationaux » (dixit Romano Prodi) et installer un dirigisme libéral, l’UE a aussi montré son caractère antidémocratique en plusieurs occasions. En imposant avec le traité de Lisbonne la quasi-totalité des dispositions rejetées par référendum aux Pays-Bas et en France. En obligeant les Irlandais à revoter après leur rejet du traité de Lisbonne. Ou, plus récemment, en interdisant, sous peine de sanctions financières, au Premier ministre grec George Papandreou d’organiser un référendum sur les mesures d’austérité imposées à son pays par le FMI, la BCE et la Commission, Troïka de technocrates. Peu après, M. Papandreou sera poussé à la démission et remplacé par un ancien vice-président de la BCE, Loukas Papadimos. Sans passer par la case élections.

[^2]: Le Monde , 22 juin 2007.

Publié dans le dossier
Les cinq mensonges de l'Europe
Temps de lecture : 3 minutes