Mensonge 3 : Convergence assurée

La crise financière de 2008 a révélé l’illusoire promesse d’un euro moteur de l’harmonisation économique et sociale des États membres.

Thierry Brun  • 24 avril 2014 abonné·es

ÀTemplemars (Nord) et à Puy-Guillaume (Puy-de-Dôme), les salariés d’Oberthur Technologies se préparent au pire. Le leader mondial français dans la sécurité digitale et les cartes à puce a annoncé, le 10 avril, son intention de recentrer ses activités françaises à Vitré (Ille-et-Vilaine). Il supprimera au passage 400 emplois, dont 132 en France. Objectif, doubler le chiffre d’affaires et transférer une partie de la production des cartes de paiement sur les sites de Barcelone (Espagne) et de Tewkesbury (Grande-Bretagne). Le même jour, Unilever France, filiale du géant néerlandais de l’agroalimentaire, des cosmétiques et des produits ménagers, annonce son intention de supprimer 134 emplois à son siège, soit 12 % des effectifs, au motif que « la pression concurrentielle s’est accentuée » et qu’il y a un manque de compétitivité. Il s’agit du neuvième plan social en moins de dix ans, qui a conduit à la disparition de plus de 1 000 emplois, souligne l’intersyndicale. Le 15 avril, le cigarettier Seita, filiale du groupe britannique Imperial Tobacco, informait de la fermeture de son usine nantaise de Carquefou : 366 emplois disparaîtront en France mais 130 seront créés en Pologne, où la production sera transférée.

Comment en est-on arrivé là ? L’euro, façonné à partir des fameux critères de convergence du traité de Maastricht en 1992 – la maîtrise budgétaire et le taux d’inflation –, est un élément clé de cette situation de concurrence sans frein entre pays membres de l’Union européenne. Le bilan de la monnaie unique, dressé dans plusieurs ouvrages publiés à l’approche des élections européennes, se révèle très éloigné des promesses de départ. « La force de la monnaie unique est de pouvoir contribuer à créer l’environnement monétaire et financier plus stable dont l’économie mondiale a besoin », assurait Pierre Moscovici en 1998, alors ministre délégué chargé des Affaires européennes du gouvernement de Lionel Jospin. « L’euro est éternel, car aucun responsable politique ne prendra le risque d’un drame économique auprès duquel la faillite de Lehman Brothers ferait figure de bluette », prophétise encore Alain Minc en 2012 [^2]. Cependant, faire cohabiter dans la même zone monétaire des pays aussi différents que la Grèce, le Portugal et l’Allemagne est difficile, sinon impossible, en l’absence de mesures appropriées pour réduire les divergences, préviennent depuis deux décennie les économistes hétérodoxes, qui ajoutent que les conséquences sociales d’une telle situation sont désastreuses. La crise financière de 2008 a révélé les tares de la monnaie unique. Au point que Jacques Mazier, membre du collectif des Économistes atterrés, estime que la zone euro se trouve dans une impasse [^3]. « Non seulement l’euro n’a pas été à l’origine du supplément de croissance tant espéré, mais l’expansion a tendanciellement continué de ralentir. Non seulement l’euro n’a pas permis la convergence des pays qui l’ont adopté, mais il a entraîné une polarisation des économies européennes. Non seulement l’euro n’a pas fait reculer le chômage, mais la gestion désastreuse de la crise par les technocrates européens a précipité et aggravé la récession dans les pays les plus touchés », écrivent des journalistes spécialisés, peu suspects de gauchisme [^4].

Le résultat est que le processus de convergence n’a pas fonctionné. Alors que les comptes extérieurs des candidats à la monnaie unique étaient quasiment équilibrés en 1999, dix ans plus tard, le Nord (Allemagne, Pays-Bas, Autriche et Finlande) affiche un excédent de 6,5 % du PIB contre un déficit de près de 4 % de la richesse nationale dans les pays latins. « Les divergences entre les pays de l’union monétaire se sont accrues d’une manière insoutenable », écrit Jacques Mazier. « Cette situation a conduit logiquement à faire de l’austérité salariale le seul moyen de rétablir les équilibres », constatent la Fondation Copernic et Attac France [^5]. Le dernier épisode de la crise de la zone euro s’est traduit en France par la présentation du « choc de compétitivité », avec la création d’un crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) de 20 milliards d’euros pour les entreprises, sans contrepartie. Pour Jacques Mazier, cette mesure n’est pas « à la hauteur des problèmes, ni appropriée dans sa forme »  : « Compenser la perte de compétitivité liée à la surévaluation de l’euro franc supposerait un effort de l’ordre de 5 % du PIB ». De plus, la généralisation des politiques d’austérité continue de tirer vers le bas les salaires et de dégrader la situation économique et sociale sans rétablir les conditions de la convergence économique prônée par le traité de Maastricht.

[^2]: Dans les Échos , 14 octobre 2012.

[^3]: Changer l’Europe ! , Les Économistes atterrés, Les Liens qui libèrent (LLL), 2013.

[^4]: Casser l’euro, pour sauver l’Europe , Franck Dedieu, Benjamin Masse-Stamberger, Béatrice Mathieu, Laura Raim, LLL, 2014.

[^5]: Que faire de l’Europe ? Désobéir pour reconstruire , Fondation Copernic et Attac France, LLL, 2014.

Publié dans le dossier
Les cinq mensonges de l'Europe
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