Mensonge 4 : Plus de protection

L’UE ne protège pas plus les emplois de ses citoyens que leur niveau de vie. Ni même leurs données personnelles.

Michel Soudais  • 24 avril 2014 abonné·es

Début juillet 2008, alors qu’il prenait la présidence tournante de l’Union européenne (UE), Nicolas Sarkozy entendait faire de la protection le leitmotiv des six mois de présidence française. « Nous voulons faire une Europe qui protège », avait-t-il déclaré devant le Parlement européen. Disant cela, il ne faisait que renouer avec un discours qui avait été celui de François Mitterrand avant le référendum sur Maastricht. Et énoncer une lapalissade. Que serait une Union qui ne protégerait pas ses citoyens ? Si elle ne s’en préoccupait pas, pourrait-elle compter sur le soutien et l’adhésion des Européens ?

Néanmoins, le projet sarkozyste – à supposer que son dessein ne consistât pas seulement à faire adopter un pacte européen pour l’immigration qualifié d’ « Europe Bunker » par les associations de défense des migrants – s’est vite heurté à la réalité de l’UE : protéger n’est précisément pas sa mission. D’abord parce que l’UE a été chargée de libéraliser et de créer un marché unique sans cesse plus étendu, la protection restant dévolue aux États, qu’il s’agisse des fonctions régaliennes de justice et de police ou de l’État-providence. Ensuite parce que, pour élever des tarifs douaniers protecteurs ou mettre en place une harmonisation fiscale pour contrer le dumping social, il faudrait une volonté politique des États membres.  «   Or, nos partenaires ne sont pas sur cette thèse-là. Ils sont dans une volonté de multiplier les échanges, de supprimer les barrières », affirmait François Hollande, qui ne s’offusquait nullement de cette situation [^2]. La majeure partie de nos responsables politiques, de la droite au centre-gauche, continue pourtant de nous seriner cette antienne apaisante de l’Europe qui protège. Elle nous a protégés de la crise économique en acceptant de prendre les bonnes décisions pour sauver les banques, nous expliquent les dirigeants de l’UMP. Sans l’euro, nous aurions dû subir des dévaluations, renchérissent leurs homologues du PS. Mais la crise économique, dont nous ne sommes toujours pas sortis, a battu en brèche cette fable dans de nombreux pays. En Espagne et au Portugal de gigantesques marches de protestation contre les politiques d’austérité conduites à la demande des autorités européennes ont montré ce qu’il en est. Pour ne rien dire de la Grèce, dont le PIB a reculé de 24 % en six ans sous les coups de boutoir de la Troïka et de ses plans d’austérité drastiques. Or, après onze de ces plans, la dette grecque qu’ils étaient censés réduire a bondi de 148 % à 175 % du PIB.

L’UE ne protège pas plus les emplois de ses citoyens que leur niveau de vie. La faute à l’interdiction de toute harmonisation sociale et fiscale inscrite dans ses traités. Celle-ci a entraîné une course au moins-disant social, dont les délocalisations à l’intérieur de l’Union ne sont qu’un des symptômes. Un autre étant le développement du nombre de travailleurs détachés – estimé l’an dernier à 300 000 dans notre pays par une commission du Sénat –, qui s’apparente à un dumping social à domicile. Et ce n’est pas fini puisque, en vertu des traités qui la pressent d’œuvrer « à la suppression des barrières douanières et autres », l’UE multiplie les accords de libre-échange avec le reste du monde pour le seul profit des multinationales. Le clou de cette déréglementation mondiale devant être le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement négocié avec les États-Unis. Dans un tout autre domaine, celui de la protection des données personnelles, l’UE a également montré ses limites. Si, en vertu d’un article introduit par le traité de Lisbonne, le Parlement européen et le Conseil fixent « les règles relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel […] et à la libre circulation de ces données », ce droit de regard du Parlement n’est valable que pour le territoire de l’Union. Dès qu’il est question de transmettre ces données à un État tiers, seul le Conseil (les représentants des gouvernements) est compétent. Or, quelques mois avant l’adoption de ce traité, le Conseil avait accepté de transmettre aux autorités américaines toutes les données confidentielles qu’elles exigeaient sur les passagers se rendant aux États-Unis.

[^2]: Le Monde, 9 juillet 2008.

Publié dans le dossier
Les cinq mensonges de l'Europe
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