Mensonge 5 : Une grande puissance politique

L’Union porte très mal son nom quand il s’agit de faire entendre une même voix sur le terrain diplomatique.

Denis Sieffert  • 24 avril 2014 abonné·es

Voilà une autre baliverne qui n’a plus grand crédit. L’Union européenne aurait fait irruption sur la grande scène internationale pour faire contrepoids aux États-Unis d’Amérique et à la Chine. Les partisans de cette thèse font généralement valoir d’impressionnantes données objectives : l’Union européenne, c’est 28 États, 5 millions de kilomètres carrés et 505 millions d’habitants. Dit comme ça, cette Europe est en effet la « première puissance économique du monde », sinon démographique. Pourtant, l’Union est restée un nain dans le concert international. On peut même dire que, sur le plan diplomatique, l’Europe n’existe pas. Ce n’est pas tout à fait faute d’avoir essayé. Tout a commencé en 1970 avec la création de la Coopération politique européenne (CPE). Une structure informelle de concertation entre les États. On a vu cette structure – ou plutôt, on ne l’a pas vue – à l’épreuve de la crise yougoslave.

Le traité de Maastricht, en 1992, a ensuite institué la politique étrangère et de sécurité commune (Pesc) dans une tentative d’intégration un peu plus volontariste. En 2009, on ira encore un peu plus loin avec la création d’un poste de Haut Représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité pour coordonner et représenter la politique étrangère. Mais « coordonner » est bien difficile, et « représenter » est carrément impossible. Tout simplement parce que le primat économique, financier et monétaire qui conditionne entièrement la construction européenne attise la concurrence entre les Vingt-Huit. Il n’y a pas beaucoup de dossiers internationaux qui ne contiennent au moins un volet économique. Et, sur ce plan, la compétition fait rage. Parler d’une même voix dans des situations de crise pour des États qui ont des intérêts opposés n’est pas chose facile. On raille souvent la pauvre Catherine Ashton, qui occupe la fameuse fonction de « Haut Représentant », mais sa mission est évidemment impossible, même si, formée dans l’ombre de Tony Blair, elle est rompue à tous les opportunismes.

La guerre américaine de 2003 en Irak a parfaitement illustré cet écartèlement. Tandis que le Royaume-Uni s’engouffrait dans le sillage de George W. Bush, la France s’opposait à cette agression américaine en règle. C’est évidemment l’exemple le plus spectaculaire de la désunion européenne. Mais l’union n’est pratiquement jamais possible dans un système à dominante intergouvernementale qui reste soumis à la règle de l’unanimité des Vingt-Huit. Ce qui est d’ailleurs un moindre mal dans les conditions actuelles. On voit encore aujourd’hui, à propos de la crise ukrainienne, une Allemagne beaucoup plus modérée que la France dans l’échelle des sanctions contre la Russie de Vladimir Poutine. Et cela pour cette raison toute simple que l’Allemagne est le premier partenaire commercial de la Russie, et qu’elle a dans cette affaire plus à perdre que la France ou l’Italie. Les différences de sensibilité et les divergences d’intérêts commerciaux frappent également d’impuissance l’Union européenne dans le conflit israélo-palestinien. Dans le domaine de la diplomatie et de la politique internationale, peut-être plus que dans tout autre, l’Europe paye l’absence d’intégration politique. Elle paye aussi les différences de positionnement par rapport au « grand allié » américain et à l’Otan. Lorsque la France de Nicolas Sarkozy décide de rentrer dans le commandement intégré de l’Otan – une décision confirmée par François Hollande –, elle éloigne encore un peu plus la chimérique perspective de diplomatie européenne.

Publié dans le dossier
Les cinq mensonges de l'Europe
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