Mingus, avec gourmandise

Entre jazz et musique de bal aux parfums d’Europe de l’Est, Papanosh propose un hommage au contrebassiste génial, loin des clichés.

Lorraine Soliman  • 10 avril 2014 abonné·es

Le papanasi [prononcez papanosh ] est un dessert traditionnel roumain. Et Papanosh un quintet de jazz rouennais qui trouve ses racines chez Charles Mingus. La gourmandise n’est pas la moindre des qualités de ces jeunes musiciens réunis par une énergie communicative et une évidente envie de briser les barrières stylistiques en connaissance de cause.

C’est au sein du collectif d’artistes les Vibrants Défricheurs, autour de 2005, que Quentin Ghomari, Raphaël Quenehen, Sébastien Palis, Thibault Cellier et Jérémie Piazza se sont découvert un désir partagé de croiser leur passion du jazz et de l’improvisation avec d’autres formes musicales, pour en faire « une musique vraiment vivante », explique Raphaël, le saxophoniste. Avec Quentin le trompettiste-tromboniste, ils sont les « jazzistes » de la bande, fraîchement diplômés du prestigieux département jazz du Conservatoire national supérieur de musique de Paris. C’est dans ce contexte qu’une rencontre importante pour l’histoire (et surtout la musique !) de Papanosh se fait avec le brillant « agitacteur » du jazz gascon, Bernard Lubat, qui devient rapidement une sorte de parrain du groupe. Ce « pionnier de l’autonomisation du jazz en France, inventeur d’une manière d’improviser qui n’oublie jamais la fête ni le corps, et qui se situe dans un rapport à la musique populaire   », est un repère puissant pour le jeune quintet. Une conception festive de la musique dont Sébastien Palis se fait naturellement le véhicule, lui qui, adolescent, remplaçait les musiciens de l’orchestre de bal que dirigeait son grand-père. Pour Papanosh, il occupe les claviers (piano, orgue), sans oublier l’accordéon. Avec Thibault le contrebassiste et Jérémie le batteur, ils délivrent une invitation à la transe où s’inventent des mélodies d’inspiration balkanique, dans un esprit libertaire que le free-jazz des années 1960 n’aurait pas renié. Rencontré une première fois en 2012, peu après la sortie de l’album Your Beautiful Mother, le quintet réfléchissait alors à d’autres explorations possibles, dans un souci d’éclatement des formes et d’urgence jubilatoire. La filiation mingusienne s’est rapidement imposée, raconte Raphaël Quenehen, interrogé à ce sujet.

Quinze mois et une tournée Jazz Migration [^2] plus tard, le projet porte un nom, Oh Yeah!, en hommage à l’album éponyme de 1962, et délivre une musique qui rappelle avec une juste distance l’incroyable inventivité orchestrale de Charles Mingus. Un ambitieux programme qui revendique l’héritage de la Great Black Music, objet d’une exposition actuellement à la Cité de la musique (voir Politis du 27 mars), sans pour autant se tromper de combat. «   Nous avons décidé de travailler avec le saxophoniste et poète Roy Nathanson, qui s’est tout de suite montré très enthousiaste tout en nous mettant en garde contre nos fantasmes de jeunes Français vis-à-vis de l’histoire afro-américaine. En tant que Juif new-yorkais, lui-même a dû se positionner dans l’histoire du jazz, c’est tout un travail. C’est cet équilibre entre l’hagiographie qui est moins belle que l’original et le projet qui s’en éloigne trop que nous avons cherché à trouver : rendre hommage tout en restant nous-mêmes.   »

Du contrebassiste génial, les cinq musiciens retiennent le sens des grooves, le blues acéré et « ses mélodies complètement incroyables », mais aussi l’aspect workshop « où tout est possible », sans oublier la parole vigoureuse, le cri mingusien. Papanoshiens convaincus, ils creusent à leur manière l’idée de transe, à coup de tourneries gnawa ou de chansons traditionnelles mexicaines revues et arrangées. Ils combinent humour, respect et profondeur de champ, évitent le cliché facile et proposent une musique de connivences que la complicité du tromboniste Fidel Fourneyron et la tchatche transversale de Roy Nathanson complètent idéalement.

[^2]: Programme créé en 2002 par l’Association des festivals innovants en jazz et musiques actuelles (Afijma), aujourd’hui Association jazz croisé (AJC), visant à l’émergence des jeunes musiciens de jazz.

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