« Night Moves », de Kelly Reichardt : Explosion intérieure

Dans Night Moves , Kelly Reichardt montre des activistes auteurs d’un coup d’éclat qui tourne mal.

Christophe Kantcheff  • 24 avril 2014 abonné·es

Josh, Dena et Harmon pourraient être trois petits délinquants, réunis pour l’occasion, qui prépareraient un casse minable. De ce genre de personnages, le cinéma américain est peuplé. Mais tel n’est pas le cas. Josh et Dena sont de jeunes activistes décidés à frapper un grand coup pour dénoncer la nuisance écologique que représente un barrage.

On apprend qu’ils ont déjà détruit des antennes téléphoniques, mais l’explosion d’un barrage est d’une tout autre ampleur. Le danger aussi. Même si Harmon, un peu plus âgé et peut-être plus aguerri, s’est adjoint à eux, on ressent rapidement leur inexpérience qu’ils tentent de compenser par une bonne organisation. Kelly Reichardt filme ces préparatifs méticuleux en même temps qu’elle capte ce qu’il y a d’affects dans l’engagement de Josh et Dena, plus que d’exigence rationnelle. Ainsi, ils assistent à la projection d’un documentaire militant qui appelle, en des termes abstraits, à un soulèvement, après avoir brossé un tableau apocalyptique de la situation écologique. Josh et Dena sont touchés par ce qui ne transmet que sentiment d’impuissance et absence d’espoir – où l’on peut aussi voir, au passage, une prise de position de Kelly Reichardt vis-à-vis de ce genre de cinéma. Pour une bonne cause, jusqu’où ne pas aller trop loin ? C’est un des sujets qu’effleure Night Moves, mais le film ne développe aucune thèse. Les personnages focalisent le regard de la cinéaste, à tel point qu’elle ne montre pas l’explosion du barrage mais reste sur Josh, Dena et Harmon en fuite. On sait depuis Old Joy (2006) ou la Dernière Piste (2010), western matérialiste, que le « spectaculaire », pour la cinéaste qui tourne tous ces films dans l’Oregon, se loge dans des moments de silence et de contemplation – comme cette séquence de descente d’une rivière en barque, étrangement exotique – ou dans ce qui ne se voit habituellement pas. D’où la seconde partie de Night Moves, très impressionnante. Dès lors qu’ils apprennent que l’explosion a eu des conséquences accidentelles mortelles, Josh et Dena (interprétés par Jesse Eisenberg et Dakota Fanning, excellents) sont anéantis.

Kelly Reichardt ne raconte pas ce que tout le monde aurait distillé par le menu : l’enquête policière. Elle montre la destruction à l’œuvre chez ses personnages. La disparition totale de toute solidarité entre ceux qui ont pourtant fait équipe. Mais surtout la perte d’humanité due à la peur et à la culpabilité. Kelly Reichardt, cinéaste dostoïevskienne.

Cinéma
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