San Mao : L’internationale des crève-la-faim

Héros chinois des années 1940, San Mao incarne les gamins des rues du monde entier.

Marion Dumand  • 3 avril 2014 abonné·es

Attention, document historique – et bien vivant – de première bourre… Avec les strips de San Mao le petit vagabond, nous faisons un grand saut en arrière pour entrer dans la Chine des années 1940. San Mao, c’est Quick et Flupke version solo et « sino » ; c’est Tchang du Lotus bleu sans Tintin ni happy end .

D’ailleurs, Tchang et San Mao sont nés au même moment, rappelle en préface Nicolas Finet, spécialiste de la bande dessinée chinoise et des cultures asiatiques. Et s’ils ont la même mère, cette Chine exsangue, appauvrie, exploitée, qui dans les villes côtoie les plus riches, leurs pères n’ont en commun que le talent. « Nourri tout à la fois du spectacle navrant de la misère sordide qu’il côtoie au quotidien à Shanghai et du souvenir de ses propres années de dénuement durant l’enfance, [Zhang Leiping] façonne sur le motif son personnage de petit vagabond, dont la première publication attestée date du 28 juillet 1935 dans les pages du Cartoon Morning News.  » San Mao est depuis devenu un héros populaire, incarné dès 1949 à l’écran et mis en scène dans plus de mille histoires, accessibles à tous puisque muettes en majorité, marquées par l’histoire car écrites sur près de cinquante ans.

Les éditions Fei ont choisi de se concentrer sur une époque charnière, de 1946 à 1949, quand le petit vagabond évolue de la rue à l’armée. Et c’est un choc. Un humour terrassant. En quatre cases, six au plus et quelques coups de pinceaux, San Mao nous révèle un monde infiniment concret, fait de pauvreté crasse, survie quotidienne, faim pantelante. Avec son derrière décharné, ses côtes saillantes et ses pieds nus, l’orphelin se moque de ses misères. Ce sont même elles qui servent de ressort narratif à travers des objets usuels revisités. Une brouette devient lit, des journaux couverture, des boulettes pour chien le repas rêvé. Une affiche pour l’hygiène alimentaire vient-elle d’être placardée que San Mao fait une indigestion de colle (de riz)… San Mao le petit vagabond renvoie dans les cordes la tant rabâchée « universalité » artistique. Lui fonde une internationale terrible, toute en débrouille, coups (durs) et survie. Celle que, de Kinshasa à Lima, du Caire à Calcutta, entonnent chaque jour les gamins des rues.

Littérature
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