Une raclée sans précédent

Les électeurs ont infligé au PS une déroute historique aux conséquences en cascades. Le PCF n’est pas épargné, qui perd plus du quart de ses mairies, tandis de l’extrême droite prend pied sur le terrain local.

Michel Soudais  • 3 avril 2014 abonné·es

Plus qu’une claque, un désastre ou une raclée. Une déroute ou une bérézina. On hésite sur les mots les plus adéquats pour qualifier un scrutin qui restera dans les annales. De mémoire de politologue, on n’avait jamais observé un tel mouvement de bascule lors de municipales, un scrutin dans lequel l’attachement au maire en place et le poids des pesanteurs sociologiques ne favorise guère les alternances. Même en 1977, année où l’union de la gauche avait permis la conquête de près de 90 villes de plus de 20 000 habitants, le basculement politique n’était pas d’une telle ampleur. Selon les chiffres du ministère, c’est 155 villes de plus de 9 000 habitants qui ont été perdues par la gauche, ces deux dimanches.

L’abstention d’un niveau historiquement élevé (36,3 %), et singulièrement dans l’électorat traditionnel de la gauche, explique en partie ce mouvement de balancier inédit. La participation électorale dans les 540 villes de plus de 10 000 habitants qui votaient encore dimanche a certes gagné 2,5 points, passant de 56,4 % à 58,9 %, mais ce petit sursaut de mobilisation n’a pas suffi à retourner la tendance du premier tour. Le nombre anormalement élevé de triangulaires (986 !), de quadrangulaires (207) et de quinquangulaires (16) – et même une hexangulaire en Polynésie – dans les 1 614 communes de plus de 1 000 habitants où il y avait un second tour, outre qu’il traduit un affaiblissement de la bipolarisation qui n’est pas uniquement imputable au retour du FN sur la scène communale, explique en partie l’imprévisibilité du scrutin. Preuve que celui-ci n’était pas si local que voulait le dire les socialistes, et la direction du PCF, vingt-quatre heures après l’annonce des résultats, François Hollande était contraint de changer de Premier ministre. Ce ne sera pas la seule conséquence du vote de dimanche. Après le troisième tour, qui se joue dans les conseils municipaux pour l’élection du maire et de ses adjoints, le quatrième tour pour la direction des intercommunalités s’annonce mal. Alors que celles-ci concentrent désormais l’essentiel des pouvoirs il y a peu dévolus aux communes, et que le gouvernement envisage de les faire monter en puissance pour simplifier la carte administrative, le réveil risque d’être brutal. Et d’abord dans les 12 futures métropoles.

- Clichy (92) Gilles Catoire (PS), 32,68 % ; Rémi Muzeau (UMP), 31,12 % ; Didier Schuller (DVD), 24,76 % ; Marie-Claude Fournier (écolo-Parti de gauche-citoyenne), 11,44 %.

- Montreuil (93) Patrice Bessac (FG-EELV-PS), 37,06 % ; Jean-Pierre Brard (ex-PCF), 35,39 % ; Mouna Viprey (DVG), 9,40 % ; Manon Laporte (UMP), 18,15 %.

- Sevran (93) Stéphane Gatignon (EELV), 50,56 % ; Clémentine Autain (FG), 31,31 % ; Philippe Geffroy (DVD) 18,13 %.

- Lyon (69) Gérard Collomb (PS), 50,64 % ; Michel Havard (UMP), 34,24 % ; Christophe Boudot (FN), 10,34 % ; Aline Guitard (FG), 4,78 %. Dans le Ier, Nathalie Perrin-Gilbert (FG) l’emporte avec 44,52 %, devant Émeline Baume (PS-EELV), 31,35 %, et Jean-Baptiste Monin (UMP), 24,13 %.

Une majorité était contrôlée par la gauche. Au moins 6 devraient revenir à la droite. C’est le cas du Grand Paris, la plus emblématique, mais aussi d’Aix-Marseille, Bordeaux, Toulouse et Nice. Sauf à décrocher des voix de droite, Martine Aubry a peu de chance de retrouver la présidence de Lille Métropole après les victoires de l’UMP à Roubaix et à Tourcoing, les deux plus grosses villes après Lille. Le cas du Grand Lyon, qui accédera en janvier 2015 à un statut de métropole très particulier, dont Gérard Collomb a été l’artisan, reste incertain : après la perte par la gauche de nombreuses villes qui le composent, UMP et PS sont au coude-à-coude (77 conseillers chacun) ; il y a 6 élus sans étiquette et 2 FN. Ultime conséquence institutionnelle du scrutin de dimanche : en septembre, lors du « cinquième tour » qui procédera au renouvellement de la moitié du Sénat, le Palais du Luxembourg risque fort de retrouver une majorité de droite, les « compteurs » de l’UMP ne sont pas seuls à le penser.

Le Parti socialiste est le grand perdant du scrutin de dimanche. S’il arrache la mairie d’Avignon à l’UMP dans une triangulaire où le FN était arrivé en tête au premier tour, le PS échoue lourdement dans sa conquête de Marseille. Il conserve Paris et Lyon mais cède à la droite une bonne centaine de villes dont Toulouse, Niort, La Roche-sur-Yon, Tours, Angers, Quimper, Morlaix, Caen, Louviers, Amiens, Reims, Belfort, Montbéliard (Pierre Moscovici était candidat sur la liste) ou Nevers. Certaines, comme Pau – gérée par le PS depuis 1971 – conquise par François Bayrou, semblaient imperdables. C’est le cas de Limoges : à gauche depuis 1912, la « Rome du socialisme » avait voté pour François Hollande à 65 %. Le PCF ne profite pas du reflux du PS, au contraire. Certes, il parvient à reconquérir Aubervilliers et Montreuil (Seine-Saint-Denis), Thiers (Puy-de-Dôme), Sérémange (Moselle) et Annay (Pas-de-Calais). Il conserve Saint-Denis de justesse (50,5 %) dans un duel face au PS. Mais il perd 57 des 185 mairies qu’il détenait en 2008 dans les communes de plus de 3 500 habitants, dont 13 en Île-de-France et 7 en petite couronne : Bobigny, « ville rouge » depuis 1919, Bagnolet, Le Blanc-Mesnil, Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), Villejuif (Val-de-Marne), Vaulx-en-Velin (Rhône), Aubagne (Bouches-du-Rhône)…

Les revers du PS font le bonheur de la droite, qui récupère près de 140 villes de plus de 10 000 habitants, et se retrouve aux commandes de 572 des 938 communes de cette catégorie. Dès dimanche soir, Jean-François Copé revendiquait pour son mouvement le titre de « premier parti de France ». Celui-ci place surtout à la tête des mairies conquises une nouvelle génération de responsables politiques, souvent trentenaires. L’UDI en revendique toutefois un tiers, ce qui pourrait compliquer les relations au sein de la droite après deux quinquennats d’hégémonie UMP. Une domination que conteste le Front national. L’extrême droite qui gérait déjà deux villes – Orange et Bollène, dans le Vaucluse, gérées par les époux Bompard – emporte une douzaine de communes. Dont dix pour le FN : Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) acquise au premier tour, Fréjus (45,5 %), Cogolin (53,1%) et Le Luc (42,03 %) dans le Var, Beaucaire (39,82 %) dans le Gard, Le Pontet (42,62% mais seulement 7 voix d’avance) dans le Vaucluse, Hayange (34,7%) en Moselle, Villers-Cotterêts (41,53 %) dans l’Aisne, et Mantes-la-Ville (30,26 %) dans les Yvelines. À Marseille, sa tête de liste, Stéphane Ravier, emporte la mairie du 7e secteur avec 35,3 %, devant le PS (32,5 %) et l’UMP (32,1 %). Le parti d’extrême droite qui échoue à faire gagner Louis Aliot (44,9 %) à Perpignan (Pyrénées-Orientales), Florian Philippot (35,2 %) à Forbach (Moselle) ou Gilbert Collard (48,5 %) à Saint-Gilles (Gard), se félicite de l’élection de 1 542 conseillers municipaux, dont Marine Le Pen entend bien qu’ils constitueront la base de son implantation locale pour les scrutins futurs. Et a revendiqué sa part dans la victoire de Robert Ménard à Béziers (47 %), ainsi que dans celle de Philippe de Beauregard (36,61 %), secrétaire général de la Ligue du Sud, à Camaret-sur-Aigues, petite commune du Vaucluse de 5 000 habitants. Dans ce contexte crépusculaire, le « miracle » vient moins de Lourdes où une candidate PRG récupère la cité mariale que la droite avait ravie aux radicaux en 1989, que de Grenoble, où la victoire d’Éric Piolle (40 %) à la tête d’une liste EELV-PG-citoyens esquisse un avenir prometteur pour la gauche.

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