À la moulinette du marché transatlantique

Thierry Brun  • 1 mai 2014 abonné·es

Le 14 juin 2013, Aurélie Filippetti affiche un enthousiasme sans borne sur les réseaux sociaux. Ce jour-là, les États membres de l’Union européenne ont en effet adopté le mandat de négociations de la Commission européenne pour un « partenariat transatlantique sur le commerce et l’investissement » avec les États-Unis. Et c’est l’occasion pour la ministre de la Culture de clamer que l’exclusion du secteur audiovisuel de ce mandat est « une grande victoire sur laquelle il ne sera pas possible de revenir », ajoutant : c’est un « succès pour la diversité culturelle partout en Europe ».

Dans la foulée, le Parti socialiste annonce lui aussi une « victoire pour la diversité culturelle européenne » et renouvelle son soutien à un « gouvernement  [qui] a su rester ferme pour que la culture ne soit pas traitée comme une marchandise ». « Exclusion de l’audiovisuel », « diversité culturelle » préservée, mais qu’est devenue l’exception culturelle dont François Hollande avait affirmé qu’elle serait « exclue du champ de la négociation »  ? Alors Premier ministre, Jean-Marc Ayrault avait claironné devant l’Assemblée nationale que Paris s’opposerait à l’ouverture des négociations si la culture et les industries culturelles n’étaient pas protégées, donc exclues du partenariat, et brandi alors la menace d’utiliser « son droit de veto politique ». Ni veto ni victoire… À Bruxelles, le commissaire européen au Commerce et principal négociateur européen, Karel De Gucht, a rappelé à la France que le mandat ne contient pas d’exclusion des services audiovisuels : « Le mandat précise clairement que la Commission aura la possibilité de revenir devant le Conseil avec des directives supplémentaires pour la négociation. »

N’importe quel secteur, y compris l’audiovisuel, peut être inscrit à l’ordre du jour des négociations. En coulisse, on envisage que l’audiovisuel et le cinéma puissent être ouverts à la concurrence en contrepartie d’assouplissements des Américains dans d’autres secteurs, comme l’automobile ou les services financiers. De plus, le mandat de négociation de la Commission européenne, que Politis a publié [^2], ne prévoit aucune exception ni exclusion culturelle. Ainsi, l’ensemble des « services culturels » (théâtres, opéras, musées, archives, bibliothèques, patrimoine, etc.) pourraient être, eux aussi, ouverts à la concurrence le cas échéant. Alors, en matière de « diversité culturelle », on cherche encore la « victoire » du gouvernement.

[^2]: « Marché transatlantique UE-États-Unis : le mandat secret de la Commission européenne », www.politis.fr/Marche-transatlantique-UE-Etats,22686.html

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Pauvre culture !
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