« Caprice de la reine », de Jean Echenoz : L’ordre flegmatique des mots

Dans Caprice de la reine , Jean Echenoz publie des récits qui recèlent le secret de sa poétique.

Christophe Kantcheff  • 1 mai 2014 abonné·es

Ayant, au fil des années, publié des textes ici ou là, Jean Echenoz a décidé de les regrouper dans un livre, Caprice de la reine. Des « récits » plus que des nouvelles – l’écrivain ne se soumettant pas toujours à la règle de la chute –, de nature évidemment différente. Mais certainement pas disparates.

Aussi diverses que soient les intrigues, parfois ténues, comme dans « Vingt femmes dans le jardin du Luxembourg et dans le sens des aiguilles d’une montre », portraits lapidaires de reines de France, on repère des récurrences. Ainsi, Jean Echenoz aime à déboulonner les statues, quelles qu’elles soient, avec la scie de l’ironie. C’est, par exemple, l’amiral Nelson, qu’il représente dans un dîner mondain, « fort beau personnage en effet mais peut-être un peu pâle », avec toutes ses infirmités et blessures, et dont il rappelle qu’il souffrait du mal de mer. Ou Hérodote, peintre un peu pressé, « enjoliveur » et sans doute pas toujours bien comprenant, de Babylone. Mais la « statue » peut être aussi un grand sentiment, ou une première rencontre amoureuse, qui devrait être, littérature oblige, romanesque, et qui se termine en accident apocalyptique. Ressort également dans ce recueil le goût de Jean Echenoz, déjà auteur de cette merveilleuse nouvelle au titre éloquent, l’Occupation des sols  [^2], pour la topographie, l’urbanisme, l’architecture et la géographie. Dans « Trois sandwichs au Bourget », il donne notamment à voir la manière dont l’histoire et les guerres ont marqué cette commune de Seine-Saint-Denis.

« Caprice de la reine », le récit qui donne son titre au livre, est en soi une description du paysage qui entoure une propriété dans la campagne mayennaise. Le narrateur se veut extrêmement précis. Mais il n’est pas sans savoir « qu’il est difficile  […], comme le fait observer Joseph Conrad dans sa nouvelle intitulée Un sourire de la fortune, de mettre chaque chose à sa place exacte », écrit-il. Avant de préciser : « C’est qu’on ne peut pas tout dire ni décrire en même temps, n’est-ce pas, il faut bien établir un ordre, instituer des priorités, ce qui ne va pas sans risque de brouiller le propos. » Cet aveu valant pour toute littérature, il n’est pas interdit d’y voir la philosophie même qui régit l’auteur de Je m’en vais. Devant l’impossibilité à dire exactement le réel, n’est-il pas plus juste, finalement, de le saisir avec flegme, en empruntant quelque chemin de contournement, et sans négligence pour les moindres détails ? La poétique si singulière et magique de Jean Echenoz, qui n’exclut pas la poésie, ne s’explique pas autrement.

[^2]: Aux Éditions de Minuit, 1988.

Littérature
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