Christian Picquet : Une majorité rose-vert-rouge est devenue possible !

Les contours d’un véritable pacte anti-austérité commencent à émerger, émanant de toutes les sensibilités de la gauche. Tribune.

Christian Picquet  • 8 mai 2014 abonné·es

L’abstention de 41 députés socialistes, le 29 avril, sur le « programme de stabilité » dont Manuel Valls demandait l’approbation à la représentation nationale, vient de nous faire entrer dans un nouveau moment politique. Un moment aux enjeux cruciaux. Jusqu’alors, de « choc de compétitivité » en « pacte de responsabilité », d’amputations à la hache de la dépense publique en soumission à la sacro-sainte orthodoxie budgétaire chère à madame Merkel et aux bonzes de la Commission européenne, le président de la République et son Premier ministre nous menaient à un désastre assuré. À un échec économique doublé d’une catastrophe sociale, qui offrait pour seule perspective à la gauche des déroutes électorales encore plus terribles que celle des élections municipales. Pour le plus grand bénéfice d’une droite ultra-radicalisée dans ses rêves de revanche et d’une extrême droite surfant sur la souffrance sociale au point de gagner régulièrement en crédibilité.

Par leur refus de ce choix suicidaire pour le camp progressiste dans son ensemble, les « 41 » ont exprimé une colère qui les dépasse, et qui s’est emparée, nul ne l’ignore, d’un très grand nombre d’élus, de responsables et de militants du Parti socialiste. À leur manière, ils ont prolongé ce qu’avait auparavant signifié le départ des ministres écologistes du gouvernement. Et ils se sont fait l’écho du refus que la plus grande partie du mouvement syndical oppose désormais au « pacte » mortifère qu’un pouvoir né de la volonté de changement des citoyens veut à toute force conclure avec le grand patronat. Pour le dire autrement, ils ont mis en évidence le fait que la fuite en avant libérale du gouvernement n’a pas de majorité à gauche. Une nouvelle majorité, « rose-vert-rouge », ne relève donc plus seulement de la nécessité, elle est devenue possible. Ici et maintenant ! D’autant que, des propositions qui se font entendre dans toutes les sensibilités de la gauche, commencent à émerger les contours d’un véritable pacte anti-austérité. Un pacte qui, au service de la relance et de l’emploi, privilégierait une dépense publique réorientée en direction de l’investissement, de la conversion écologique de l’économie et des besoins populaires en services publics de qualité. Qui redonnerait à l’État les moyens d’une politique volontaire et ambitieuse, grâce à une fiscalité cessant de se dérober à la mise à contribution des revenus de la finance et de la spéculation. Un pacte qui permettrait à la puissance publique de libérer le crédit et l’aide aux petites et moyennes entreprises de la logique du rendement financier de court terme inspirant les banques – et même une Banque publique d’investissement très loin d’honorer ses promesses originelles. Un pacte qui dynamiserait la consommation des ménages en augmentant le pouvoir d’achat des salaires et des retraites. Qui, pour conduire enfin une action conforme au vote du printemps 2012, refuserait d’appliquer plus longtemps les absurdes préconisations d’un traité budgétaire enfermant la France et l’Europe dans le marasme et la régression sociale.

Le Front de gauche se doit d’être l’artisan de cette solution de salut public, dans la mesure où il se veut depuis deux ans porteur d’une alternative à la théorie de « l’offre » à laquelle François Hollande a sacrifié tous les principes fondateurs de la gauche. Ce qui lui impose, comme vient de l’y appeler publiquement la Gauche unitaire, de se réorienter de toute urgence.

Le temps est moins que jamais aux incantations, aux dénonciations, aux proclamations d’une « opposition de gauche », car nos concitoyens ressentent ces postures comme l’alibi d’une impuissance à changer concrètement les rapports de force politiques. Il n’est pas davantage aux appels à un ralliement qui n’ont aucune chance d’être entendus de celles et ceux qui en arrivent à manifester leur défiance envers des choix gouvernementaux mettant la France à l’heure de tous les dangers. Le temps est à la volonté de rassembler la gauche sur la seule politique qui puisse rouvrir au peuple un chemin d’espoir. Rien n’est donc plus important que de donner à voir, dès les prochaines semaines, que les choses bougent, que le découragement et le désespoir peuvent céder le pas à la remobilisation des forces vives du camp progressiste, qu’il n’y a pas de fatalité à la casse sociale, que l’on peut parfaitement rompre avec le libéralisme et le productivisme. C’est à des « Assises de la gauche » pour une nouvelle politique, respectueuses des identités et des histoires de chacun, mais préfigurant le nouveau bloc majoritaire qui se cherche encore, qu’il faut à présent travailler. Car c’est dans un tel sursaut que l’on pourra conjurer la débâcle qui menace.

Politique
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