Europe : le fédéralisme est une impasse

Le fédéralisme budgétaire est comme l’Europe sociale : une arlésienne.

Christophe Ramaux  • 15 mai 2014 abonné·es

Néolibéralisme et Europe : c’est principalement autour de ces deux volets que les élites politiques dominantes ont bâti leur identité depuis trois décennies. On conçoit qu’elles tremblent à l’idée de la fin de l’euro. N’est-il pas la seule « grande chose » qu’elles ont réalisée ? La monnaie n’est pas neutre, elle est toujours au cœur du contrat social. Depuis 1992, avec le traité de Maastricht, l’euro est devenu la clé de voûte du néolibéralisme en Europe. La crise ouverte en 2008 a révélé sa vérité : un redoutable instrument de discipline. Faute de pouvoir dévaluer, les pays doivent se lancer dans la course à la déflation salariale pour ne pas accumuler des déficits commerciaux.

Un autre euro est-il possible ? Une partie de la gauche antilibérale le soutient. L’une des solutions qu’elle avance est celle du fédéralisme budgétaire, lequel a l’avantage pour cette gauche qui, généralement, n’aime ni l’État ni la nation d’affaiblir l’un et l’autre. Mais le fédéralisme budgétaire connaît le même sort que l’Europe sociale : c’est une arlésienne. Et lorsque la chose arrive, ce n’est pas le progrès promis qui survient, mais la régression. L’Europe sociale tant attendue est ainsi officiellement née à la fin des années 1990 : en son nom, ont été promus le marché de dupes autour de la flexicurité, les mesures visant à « consolider » les retraites par capitalisation, la santé par les assurances privées, etc. De même, le fédéralisme s’installe à la faveur de la crise : mais par la mise sous tutelle des politiques nationales afin de respecter les canons de l’orthodoxie (semestre européen, par exemple).

Le fédéralisme budgétaire peut-il être une réponse à la crise de l’euro ? Des aides européennes à l’investissement sont nécessaires, afin notamment de faire de l’Europe du Sud (a priori mieux dotée en matière d’énergies renouvelables) le fer de lance de l’Europe écologique à construire. Mais de tels investissements sont longs à produire leurs effets en termes de compétitivité : même s’ils avaient lieu, ils ne permettraient pas de contrebalancer les effets ravageurs de la surévaluation de l’euro pour les pays d’Europe du Sud (dont la France), alors que celui-ci est sous-évalué pour l’Allemagne. Le fédéralisme peut prendre une autre forme : les transferts de solidarité. On acte les déséquilibres commerciaux engendrés par une monnaie unique et on se contente d’en pallier les conséquences sociales. Mais ce n’est pas viable : on ne peut concevoir pour l’Europe des transferts similaires à ceux existant entre les actifs franciliens et les retraités creusois. La solidarité a déjà du mal à fonctionner dans certains pays (Belgique, Espagne, Italie, Allemagne, etc.) : on voit mal les peuples du Sud accepter que leurs allocations-chômage soient payées par les travailleurs allemands. Il faut surtout cesser de se payer de mots. Le budget européen, ridicule aujourd’hui (1 % du PIB), mérite certes d’être augmenté pour organiser la relance, mais, à bien y réfléchir, l’essentiel de la dépense publique doit rester national : il n’y a pas lieu de transférer à l’Europe ni les prestations sociales ni les services publics [^2].

[^2]: Voir Changer l’Europe , les Économistes atterrés (Les Liens qui Libèrent).

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