Jean-Pierre Vincent : « Un manque de désir et d’idées »

Le metteur en scène Jean-Pierre Vincent dénonce l’érosion des budgets et appelle à élaborer une politique ambitieuse.

Gilles Costaz  • 1 mai 2014 abonné·es

Inlassable défenseur du théâtre public, dont il a été, avec Patrice Chéreau, un artisan du renouveau, Jean-Pierre Vincent prend plus que jamais part aux débats sur la place du théâtre dans notre société et les moyens alloués au secteur subventionné.

Vous étiez dans la Marche pour la culture et vous participez aux travaux du Syndeac [^2]. Vous vous opposez à un camp politique qui est le vôtre !

Jean-Pierre Vincent : Si j’ai participé à la première Marche pour la culture, c’était par désaccord sur le projet de déléguer aux régions une partie du pouvoir des Drac (directions régionales des affaires culturelles). Je suis personnellement pour la suppression des départements et le regroupement des régions, mais cela doit prendre du temps. Quand les régions seront deux fois plus grandes, elles ressembleront aux Länder allemands et deviendront des interlocuteurs. Mais, actuellement, nous avons besoin de l’État face à des collectivités locales qui n’ont pas de politique ambitieuse – les élus sont parfois comme des enfants : ils veulent tout et ne savent que faire de leurs jouets. Le théâtre public traverse une période chaotique et les événements se précipitent. Après ce premier dossier de désaccord, il a fallu protester contre le gel de 7 % des subventions décidé par le ministère de la Culture, qui fait courir des risques mortels à bien des établissements. Le théâtre public est devenu une vaste coproduction : personne ne peut plus travailler seul. On nous a proposé des diminutions de 1,5 % tous les ans, ce qui a entraîné une inexorable érosion. Pour le seul cas de ma compagnie, Studio libre, entre 2002 et 2013, nous avons perdu 42 % de pouvoir d’achat. Christophe Rauck vient de quitter le théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis parce qu’on diminuait ses moyens. Il est nommé au Théâtre du Nord, à Lille : on lui retire aussitôt 200 000 euros ! On constate un manque de cohérence, de sérieux et d’anticipation. Pourquoi, pendant ses dix ans d’opposition, le PS n’a-t-il pas organisé une politique de la culture, créé un « shadow gouvernement » ? C’est un parti vieillissant.

Et le problème des intermittents ?

La provocation du Medef n’a jamais été aussi violente. L’accord, signé notamment par la CFDT, aggrave la situation des petits intermittents au profit des gros.

N’y a-t-il pas de vraies prises de position à travers les nominations à la tête de différentes institutions ?

Ce sont des nominations pseudo-démocratiques. Et on en est toujours à attendre le nom des directeurs à la Comédie-Française et au Théâtre national de Strasbourg. Pour décider, il faut avoir des désirs et des idées. On a l’impression qu’il n’y en a pas. Malraux et Lang, c’est un héritage pénible pour les classes politiques. Aujourd’hui, la seule chose qui donne de l’aura à l’art et au théâtre, ce sont les retombées commerciales dans les villes. Le secteur du spectacle vivant représente 3 % du PIB, mais ce n’est pas la seule raison de soutenir l’art et la culture ! Il devrait exister un chantier de pensée, d’utopie et de prévoyance. Si les élus ne s’y attellent pas, ils poussent le pays dans le fossé.

[^2]: Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles.

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Pauvre culture !
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