Marchés publics : Privatisation rampante

L’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de loi facilitant les partenariats public-privé.

Thierry Brun  • 8 mai 2014 abonné·es

Les collectivités territoriales pourront s’affranchir des règles de concurrence imposées aux marchés publics pour déléguer au privé la construction de logements, la gestion d’un service public ou une autre opération d’intérêt général. Cette démarche simplifiée sera désormais envisageable en créant une société d’économie mixte (SEM) « à opération unique ». L’adoption au Sénat le 11 décembre 2013 à une large majorité (sans les voix des écologistes et des communistes) de la proposition de loi créant ce nouvel outil pour la commande publique est cependant passée inaperçue. Et elle ne fait pas plus de bruit à l’Assemblée nationale, qui avait fixé au 7 mai le vote des députés en première lecture, prenant ainsi de court les organisations mobilisées contre ce texte des sénateurs de l’UDI-UC Jean-Léonce Dupont et Hervé Marseille. La SEM à opération unique est présentée comme une nouvelle forme de partenariat public-privé (PPP) pour les élus locaux qui cherchent « une optimisation du fonctionnement des services publics locaux, notamment en se réappropriant leur gouvernance, tout en bénéficiant du savoir-faire du secteur privé », défend le sénateur PRG Jacques Mézard, rapporteur du texte. La société permettra l’organisation « d’une seule procédure de mise en concurrence, non pas pour l’attribution du contrat à la société, mais pour le choix de la personne privée qui participera à la future entité » .

Cette volonté de simplifier les procédures pour des élus confrontés à la baisse des dotations de l’État et à un accès difficile à l’emprunt bancaire n’a pas convaincu les architectes. Catherine Jacquot, présidente du conseil national de l’ordre national des architectes, juge sévèrement cet outil qui « se présente comme une nouvelle forme de partenariat public-privé, dont les graves dérives financières sont pourtant connues, [sans en adopter] les contraintes et outils de contrôle ». Attac France, qui a adressé une lettre à Jean-Jacques Urvoas, président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, et à plusieurs députés pour les alerter sur une loi « porteuse de nombreuses dérives et de conflits d’intérêts », rappelle les « scandales récents », notamment le bail annulé du PPP pour la réalisation et la gestion du centre hospitalier sud-francilien, qui a « mis en évidence les limites de ces contrats ». La SEM à opération unique permettra « de confier pour des décennies à une SEM, dans laquelle siègeront les politiques et l’entreprise choisie préalablement, le service public concerné », tout en limitant « drastiquement l’accès à la commande publique, car les PME n’auront pas les capacités juridiques et financières de souscrire au capital de la SEM », estime Catherine Jacquot. De plus, « la collectivité territoriale, bien qu’assurant la présidence du CA, n’aura aucun réel pouvoir décisionnaire face à un actionnaire privé pouvant détenir jusqu’à 66 % du capital social », dénonce Attac France. Très remontés, les architectes n’acceptent pas d’être subordonnés « à des intérêts marchands au sein d’une société où les partenaires (collectivités locales, grands groupes du BTP) sont juge et partie, à la fois maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre et entreprises, sans autre garde-fou que le bénéfice économique de l’opération ». Attac France s’oppose à cette « nouvelle forme de privatisation rampante des services publics » et compte mener une campagne d’information auprès des citoyens et des collectivités.

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