« Nos Anges », de Jean-Baptiste Predali : Une seule innocente

**Nos Anges** , un roman de Jean-Baptiste Predali qui revisite le passé récent de la Corse dans un climat crépusculaire.

Christophe Kantcheff  • 8 mai 2014 abonné·es

Comment l’apparition d’un nouveau-né pourrait-elle déclencher un cyclone ? C’est pourtant bien le cas dans ce roman de Jean-Baptiste Predali, Nos Anges, troisième volet d’un cycle consacré à la Corse, dont chaque livre peut-être lu indépendamment. Un nouveau-né, donc, une petite fille, dont on ne sait rien des circonstances de sa naissance, trouvée dans un lieu inadapté et repoussant : une décharge publique. Une innocente sur un tas d’ordures. Une apparition miraculeuse sur des immondices. Le symbole est éclatant. C’est Augustin Bianchi, l’employé communal, qui a découvert l’enfant. Après l’avoir déposée dans son quartier, les Sept-Fontaines, l’un des plus déshérités de Borgu-Serenu, vouant aux gémonies tous ses habitants, il s’est caché dans les montagnes. Car il sait que sa trouvaille va déclencher une tempête dans laquelle il risque de sombrer.

Le substitut du procureur engage une enquête, les médias se penchent sur l’affaire, et la fameuse omerta se met en branle. Ceux qui tiennent véritablement le quartier, dénommés par prétérition les Braves Garçons, resserrent les vis. Non seulement rien ne sortira qui pourrait avoir un lien avec la découverte du nourrisson, mais le couvercle est mis sur tout ce qui se trame dans le quartier : avant tout, des actes délictueux, une économie mafieuse qui n’a plus rien à voir avec un combat de libération, avec la cause nationaliste.

Or, Augustin Bianchi n’est pas un employé communal comme un autre. Il a été l’un des leaders de cette lutte. Sa réputation de baroudeur en Afrique, son efficacité et les idéaux auxquels il a cru avaient fait la différence pour tenir ce rôle. Mais aujourd’hui, dans son repaire au cœur de la montagne, le bilan du passé auquel il s’adonne est amer. « Maintenant, tu flottais dans la lassitude, tu n’avais plus envie de gratter le palimpseste, par bribes des rêves te ramenaient à tes vies précédentes puis se dispersaient, et ce qui t’échappait tu voulais l’effacer, effacer les vaines raisons d’alors… » Jean-Baptiste Predali a véritablement construit son roman comme un maëlstrom. Au cœur de la tornade, le bébé, qui agit comme un révélateur, qui symbolise aussi le salut très incertain du quartier. Autour, la comédie médiatique et les agissements cyniques du substitut, un nouveau meurtre, et le souvenir des années de lutte tôt subvertie qui se bousculent au fil du récit jusqu’au vertige. Le noir lyrisme de Jean-Baptiste Predali est sans complaisance vis-à-vis d’une terre et de ses habitants qu’il connaît bien, ayant aussi reçu en héritage la mémoire de son père, Sanvitus Predali, militant syndical respecté, auquel il dédie son livre. Nos anges est un rêve brûlant, mais par défaut, d’une Corse libre et ouverte.

Littérature
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