Au lycée autogéré de Paris : « Le bac, si je veux ! »

Au lycée autogéré de Paris, l’examen n’est pas une priorité. Depuis plus de trente ans, cet établissement forme avant tout des citoyens responsables.

Tristan Sicard  • 19 juin 2014 abonné·es
Au lycée autogéré de Paris : « Le bac, si je veux ! »
© Photo : Tristan Sicard

Pas de cloche pour sonner le début ou la fin des cours. L’assemblée d’élèves et de profs qui assurent le bon fonctionnement du lycée autogéré de Paris (LAP) n’a jamais voté l’installation d’un tel « engin ». Personne ne s’enfuit, tout le monde se tutoie… et le bac n’est pas une priorité dans cet établissement public. Seulement un tiers des élèves obtiennent le sacro-saint examen. « Bac productiviste », tancent des jeunes qui se disent peu intéressés par le « classement compétitiste » et plus décidés à s’épanouir dans leurs passions et dans le groupe. L’objectif du LAP : former des citoyens responsables, bien dans leurs baskets, et les aider à mener des projets qui leur sourient. Comment ça marche ? Pas de redoublement qui tienne au LAP. « La plupart des élèves effectuent leurs trois ans de lycée en quatre ans, le temps de passer tranquillement le bac ou pour profiter de l’effet “cocon” », explique Kolya, élève de première, installé au comptoir de la cuisine du lycée. « N’importe quoi ! », réagit Raphaëlle, de l’autre côté du comptoir, sans lâcher son mixeur. Élève de terminale et cantinière au lycée, elle précise : « Certains font leur terminale en deux ans, mais ils ne sont pas majoritaires. » Elle est bien décidée à réussir son bac du premier coup. Dans les couloirs, le ton monte facilement, élèves et profs s’exprimant librement, d’égal à égal. Ici, la « réussite » ne se mesure pas au taux de succès au bac mais aux passions et aux projets qui se développent.

Fondé en 1982 par une équipe d’enseignants d’esprit libertaire, ce lycée affiche comme priorité la responsabilisation des élèves. Cela passe notamment par une participation aux réunions des huit groupes de base (GB), où élèves et profs discutent de la vie du lycée, les mardis. Au moins un élève de chaque GB participe ensuite à la réunion générale de gestion (RGG), qui a lieu le jeudi, pour faire remonter les points importants soulevés par leur groupe. Ce jeudi matin, le débat porte sur la « libre fréquentation » du lycée et son corollaire, l’absentéisme. « Éternel problème » d’un établissement qui voit rarement plus de la moitié de ses 250 inscrits. Seules les réunions du mardi sont obligatoires, et comptent malgré tout des absents. Ceux-ci reçoivent une simple lettre de « reproche », au grand dam de quelques-uns de leurs camarades : « Ceux qui ne viennent jamais, qu’ils se cassent ! » Deborah, l’une des trois professeurs qui participent aux RGG, rappelle les principes fondateurs du lieu. « Ce n’est pas en les sanctionnant qu’on les fera venir. Il faut plutôt chercher à susciter le désir. »

Souvent réduite à un système permissif, la libre fréquentation correspond moins à un droit d’absence qu’à une liberté de choisir parmi les cours, les projets et les ateliers proposés. En revanche, on attend d’un élève qui décide de venir plus qu’une simple présence physique : « quelque chose à apporter ». De la motivation surtout, l’envie d’apprendre, d’échanger, d’inspirer et de porter un projet. Neuf heures. Des élèves de seconde ont rendez-vous avec Éric, prof de maths. Ils rejoignent la classe au compte-gouttes : à 9 h 30, ils sont huit, un effectif normal au LAP pour un demi-groupe. Au tableau, quelques exercices : pourcentages, simplifications d’équations et coefficients directeurs. Avane, en tee-shirt blanc, murmure des explications à Roman, qui a l’air de sortir de son lit. Éric jette un œil sur le travail de Ferdinand… qui a tout faux. Sans jamais donner la solution, l’enseignant l’aide à se remémorer la leçon. Intéressé par le cheminement de Ferdinand, son voisin redouble d’attention. Un prof pour une dizaine d’élèves : ce luxe est rendu possible par un fonctionnement particulier. Ni directeur, ni surveillant, ni personnel de ménage au LAP : élèves et profs se partagent les tâches. Les enseignants sont présents 25 heures par semaines, contre 18 dans un établissement classique, pour un salaire identique.Un choix qui convient à Deborah, professeur d’arts plastiques et de cinéma : « Je préfère construire le programme au fur et à mesure plutôt que de passer trois jours de vacances à prévoir ce qui va rentrer dans le crâne des jeunes pendant les six semaines à venir. » Une certaine idée de la pédagogie ? « L’éducation en France est fondée sur un rapport de domination entre celui qui détient le savoir et celui qui le reçoit, poursuit-elle. Au LAP, le savoir se construit avec les élèves. » Cette enseignante chapeaute par exemple le projet « circuit-bending » lancé par Fifi. Cet élève calme et serein aux dreadlocks couleur miel a introduit une nouvelle discipline au lycée. Elle consiste à modifier les circuits électriques de jouets d’enfants pour obtenir un son encore plus désagréable et strident que l’initial. Les membres du projet ont donné un concert pas banal avec ces terribles instruments, ce qui leur a permis de rembourser les frais engagés. Le LAP n’a renvoyé que trois élèves en trente ans. Pour les faits graves, il existe une « commission de justice ». Au début de l’année, il y a eu un incident : « L’auteur d’une claque est passé en commission, il a été remis à sa place. Ça va rarement plus loin, il n’y a jamais de baston », assure Raphaëlle.

L’autodiscipline déboussole plus d’un nouveau. À leur arrivée, ils se voient remettre la Fabrique des libertés [^2], livre sur le lycée écrit par ses élèves. Comédies musicales, pièces de théâtre, fresques sur les murs du lycée… Il compile un historique de projets qui met l’eau à la bouche, ces réalisations collectives guidées par les enseignants se montrant plus stimulantes que des injonctions scolaires. Le labo photo se trouve au premier étage. Oxanna est en train d’y développer le cliché d’une cathédrale. « C’était à Lisbonne, lors du voyage qui clôture le projet photo. » « Moi, je vise la lumière… », fanfaronne Kolya. Il s’est découvert une passion pour l’éclairage de scène avec le « projet lumière ». Pas besoin du bac pour suivre la formation qui l’intéresse. Il s’est quand même inscrit, par principe. Pas Axel, bloqué par l’idée de se retrouver dans une grande salle d’examen. « On n’est pas des animaux ! » Paolo ne passera pas le bac non plus. À la fin de sa terminale, il a prévu de s’inscrire à un compagnonnage pour apprendre le travail du bois et l’autogestion d’une entreprise. En première L, Fanny passera son bac « surtout pour faire plaisir à sa famille ». Parce que, pour la jeune fille, « la réussite, c’est quand on est content de se lever le matin et d’aller au lycée ».

[^2]: Une fabrique de libertés. Le Lycée autogéré de Paris , collectif d’élèves et de professeurs, éd. Repas.

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