« Black Coal », de Diao Yinan : La Chine broie du noir

Dans Black Coal , Diao Yinan revisite les archétypes du polar et met admirablement en scène une société en décomposition.

Christophe Kantcheff  • 11 juin 2014 abonné·es
« Black Coal », de Diao Yinan : La Chine broie du noir
© **Black Coal** , Diao Yinan, 1 h 46. Photo : DR

Une main, parmi d’autres morceaux d’un cadavre, est retrouvée dans le charbon d’une carrière minière. Ainsi commence Black Coal, Ours d’or du meilleur film à Berlin cette année, le troisième long-métrage de Diao Yinan. En Chine, le charbon est broyeur de vies. Non seulement à cause des coups de grisou, fréquents dans le nord du pays, où les mines abondent. Mais aussi de manière plus métaphorique, le charbon figurant une réalité noire, possiblement incandescente, dangereuse. Une image de violence.

Cette main dans le charbon annonce le début d’une enquête qui tourne à l’hécatombe, les deux suspects étant tués lors de leur arrestation, ceux-là ayant eu le temps de descendre deux flics et de blesser leur chef, l’inspecteur Zhang (Liao Fan). Puis l’action se déroule cinq ans plus tard, à la faveur d’un effet de mise en scène symptomatique de sa sophistication. On laisse Zhang en 1999 dans une voiture banalisée à côté d’un de ses collègues, entrant dans un tunnel. À la sortie de celui-ci, on le retrouve en 2004. Affalé sur le bas-côté de la route, il n’est plus le même. Comme un clochard qui aurait trop bu, il a dérapé (la route est enneigée) et est incapable de remonter sur sa moto, qu’un type à cyclomoteur lui vole sous son nez. Déphasé, divorcé, Zhang a aussi quitté la police. Dès lors, Diao Yinan revisite les grands archétypes du film noir pour évoquer la Chine d’aujourd’hui : le policier déprimé qui reprend occasionnellement du service, son ami flic sauvagement assassiné, la jeune meurtrière (Gwei Lun-Mei) dont il tombe amoureux. Les méandres de la nouvelle enquête à laquelle, en 2004, Zhang s’adjoint, retrouvant ses automatismes de policier au cours d’une visite à ses anciens collègues, ne sont pas toujours limpides –  le Faucon maltais est l’une des références assumées du cinéaste – et le lien avec celle de 1999 ne simplifie pas la donne. En revanche, la futilité du mobile du meurtre qui a tout déclenché est on ne peut plus claire. C’est cet engrenage infernal à partir d’un rien – la meurtrière travaille dans un pressing où une veste n’a pas été rapportée – qui intéresse le cinéaste. Parce qu’emblématique d’une Chine qui s’ensauvage.

Diao Yinan a tourné dans une région industrieuse, au nord de la Chine, livrée elle aussi au capitalisme. Il la représente froide et frigorifiée, les rues vides, comme s’il n’existait aucune sociabilité, encore moins de solidarités. Seuls les policiers semblent former un groupe. Le cinéaste filme des lieux fantomatiques, comme une patinoire où Zhang poursuit un suspect, qui se prolonge par une longue ligne droite verglacée nocturne et déserte. Les éclairages ont des contrastes crus, violents comme les meurtres barbares qui peuvent se commettre, avec des patins à glace par exemple, dans des recoins de rue. La Chine de Diao Yinan est irrémédiablement lugubre. Black Coal n’a pas la même puissance que le dernier film de Jia Zhang-ke, A Touch of Sin. Mais il y fait songer par le regard qu’il porte sur la dégradation d’un pays dont les habitants perdent tout repère. La dernière séquence est peut-être la plus extraordinaire, où Zhang – on devine que c’est lui sans jamais le voir – provoque un bombardement de feu d’artifice sur les policiers venus arrêter la femme dont il est amoureux. L’absurdité de la violence, le faux-semblant d’une réalité, la folie qui affleure : cette scène explosive ramasse tous les terribles aspects de la Chine contemporaine.

Cinéma
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