Imaginons

Dis-moi, t’étais où pendant que le gars démolissait les voitures de tes voisins ?

Sébastien Fontenelle  • 19 juin 2014 abonné·es

1) Imaginons que tu serais mon voisin. Et imaginons que t’aurais une voiture que tu garerais dans la rue devant chez nous. Et imaginons qu’il y aurait aussi, dans la même rue – c’est vraiment pas de chance, quand t’y penses –, un mec un peu acrimonique [^2] dont le passe-temps préféré consisterait précisément à bousiller des voitures. Bien sûr, ça ferait gravement ch*** tout le monde. Mais imaginons que toi, quand tu le verrais se livrer à cette pénible activité, tu pousserais des petits commentaires odieux du style : c’est quand même vrai, maintenant que j’y réfléchis à haute voix, que ces f****** bagnoles n’ont absolument rien à faire dans notre jolie rue.

Nonobstant quoi, imaginons qu’un matin le mec distribuerait de grands coups de lattes dans ta Ford Granada. Et imaginons que là, tu te mettrais à lancer d’hauts cris et que t’appellerais au secours, help, heeelp, riverain(e) s, on attente à nos véhicules, ne laissons pas faire ça ! Que crois-tu que je ferais, à ce moment-là ? Je vais te le dire. Je te suggérerais avec un peu d’insistance de fermer ta petite bouche –  shut your f***ing mouth  – parce que, dis-moi : t’étais où pendant que le gars démolissait les voitures de tes voisin(e)s ?

2) Et maintenant, imaginons une autre histoire – où notre paysage politique serait pollué par un Front national qui ne cesserait de lancer dans l’espace public d’horribles imprécations islamophobes, romophobes, etc. Bien évidemment, ça irriterait tout le monde, là aussi. Tout le monde s’emploierait à faire cesser ces vilenies. Mais il y aurait, dans cette histoire, un éminent représentant du Parti « socialiste » qui, de son côté, passerait son temps à déclamer des pénibleries du style : c’est quand même vrai qu’il faudrait quand même démontrer que l’islam est compatible avec la démocratie. Ou : c’est quand même vrai que les Roms ont quand même vocation à retourner en Roumanie. Et d’aucun(e)s, dans la vraie gauche, s’offusqueraient de ces incommodantes proférations – dites sous le sceau d’un « iconoclasme » à deux balles. Mais le gars serait quand même propulsé dans Matignon.

Et, à la fin, le Front national remporterait une élection. Et là, le même « socialiste » se mettrait tout d’un coup à lancer, le 14 juin 2014, devant le conseil national de son parti, de solennelles mises en garde sur le thème : attation, camarades. Aaaaattation, l’heure est gravississime : « Nous sentons bien que nous sommes arrivés au bout de quelque chose » et, si nous n’y prenons garde, « la gauche » pourrait bien mourir, et le Front national pourrait bien s’hisser jusqu’au second tour à la prochaine élection présidentielle, alors de grâce, camarades, de grâce ! Réinventons-nous ! (Surtout toi, Benoît.) D’après toi : qu’est-ce qu’on lui dirait, à ce moment-là, à Manuel Valls ?

[^2]: Je sais que t’aurais préféré « acrimonieux ». Mais je te répète pour la centième fois que c’est pas du tout parce qu’on est voisins que tu peux me contrôler le lexique : tu te crois où, sans déconner ?

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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