Lendemains de match

Une comédie grave et folle sur les rapports entre la France et l’Allemagne. Brillant.

Gilles Costaz  • 26 juin 2014 abonné·es

Le spectacle France-Allemagne, de Jocelyn Lagarrigue, Rainer Sievert et Marc Wels, n’a rien à voir avec la Coupe du monde. Du moins pas celle de 2014. Il fait allusion à un match de la Coupe 1982, pour le dépasser et traiter des relations entre nos deux pays. En 1982, à Séville, l’équipe d’Allemagne battit les Bleus, d’extrême justesse, aux tirs au but. Et le match fut brutal (une fracture de la mâchoire opérée sur un Français par un joueur allemand !). Aujourd’hui encore, bien des gens, en France, s’en souviennent comme d’une blessure douloureuse, d’une injustice à réparer, alors que les Allemands ont oublié. C’était un match parmi d’autres, et d’ailleurs ils perdirent la finale contre l’Italie.

Le propos de la pièce, écrite par deux Français et un Allemand, part de cette rancune française et se promène à travers notre histoire commune (de Gaulle-Adenauer, Mitterrand-Brandt, mais aussi et surtout beaucoup de petits faits quotidiens) pour traquer les incompréhensions et les clichés. Ça commence fort. ** Alors que tout semble tranquille dans un appartement au sol de couleur verte traversé par une ligne de séparation (comme au foot !), on découvre un Hitler vivant et fort moustachu dans le placard ! C’est dire qu’on ne se débarrasse pas de ce très méchant souvenir-là quand on pense à nos voisins. C’est dire aussi que le spectacle ne recule pas devant le burlesque féroce.

Toute une série de discussions se met en place ; on parle du fameux match, on entre dans les détails personnels – les flirts au temps de la jeunesse, les parents, c’est-à-dire la génération d’avant dans les deux pays… –, on se rappelle la Grande Illusion de Jean Renoir et son message inégalé, Rainer dit au passage qu’il a beaucoup interprété d’odieux soldats allemands quand il joue dans des films français. Le ton monte et descend selon les allures d’une pièce en liberté qui passe de la farce pamphlétaire à la partie de ping-pong d’un faux café du commerce. Jocelyn Lagarrigue ** campe un Français plein d’états d’âme avec une élégance rêveuse. Rainer Sievert incarne l’Allemand avec une belle énergie et emmène la soirée dans des zones assez folles. Il est aussi le metteur en scène et, ayant choisi un contexte rétro (tourne-disques, formica), il débusque gaiement tous nos démons. C’est touffu, boxé, percutant. On sait que les clichés ont la vie dure, mais ils sont là brillamment matraqués.

Théâtre
Temps de lecture : 2 minutes