France Télévisions : voyage en opacité

Réalisateurs et producteurs soulignent le manque de transparence au sein du groupe public dans l’attribution des cases documentaires. Au détriment de la diversité.

Jean-Claude Renard  • 3 juillet 2014 abonné·es

Voilà un an, le Sunny Side, à La Rochelle, ouvrait ses portes quand France Télévisions adoptait une politique de l’autruche face aux prémices d’une tourmente judiciaire au sein du groupe public : plusieurs de ses personnalités étaient touchées par une plainte pour « prise illégale d’intérêt et favoritisme ». Mis en cause, Patrick de Carolis, ex-PDG de France Télé, bénéficiant d’heureux contrats de conseil avec la direction actuelle, tout en jouissant d’un statut d’animateur producteur à France 3. Également rattrapé par la justice, Bastien Millot, numéro 3 de France Télé avant de créer la société Bygmalion, lui aussi bénéficiaire de juteux contrats passés avec le service public. C’est, au reste, l’autre volet de « l’affaire Bygmalion », entre les mains du juge Van Ruymbeke. Aujourd’hui, tous deux sont mis en examen. Dans la boucle, s’est ajoutée Patricia Boutinard-Rouelle, ancienne directrice des programmes de France 2, devenue productrice, pourvoyeuse de docs sur France Télé…

L’attribution de certaines cases est l’un des motifs de mécontentement des auteurs, réalisateurs et producteurs, venus en nombre à la dernière édition du Sunny Side (23-26 juin), important marché international du doc. En pointant les méthodes et l’absence de transparence. Un regard critique qui s’exprime sous couvert d’anonymat, « sans quoi, on ne peut pas monter au créneau », confie un producteur. « Ils nous disent qu’ils ont des milliers de dossiers. Forcément, ils n’ont pas le temps de tout lire, faute de personnel. Conséquence, ils ne lisent pas les projets, choisissent ce qui les arrange du point de vue commercial et non pas du point de vue des auteurs. » Pour un autre producteur, « les chaînes travaillent toujours avec les mêmes écuries, qui phagocytent tout. Les plus petits passent en dernier, ça crée un manque de diversité ». C’est flagrant sur France 2 et France 3 (et non sur France 5 ou France 4), que certains considèrent comme « de véritables citadelles imprenables, avec des passe-droits, en même temps qu’on y voit des luttes de clans. Les producteurs en sont réduits à un rôle de lobbying avec les chaînes, déterminant les choix des programmes. C’est pour cela que c’est opaque. Le fait d’avoir pu placer un mot dans un cocktail pèse plus que la qualité des projets ». Autre problème, renchérit un producteur, « les gens changent de poste régulièrement. Résultat, on n’a pas les mêmes interlocuteurs après six mois sur un même projet, c’est aberrant, comme le système de cases est aberrant, indigne du service public. Parce que tout doit entrer dans une case ! Ça limite les projets ». À une autre échelle, celle des auteurs, le discours n’est guère éloigné. « Avant de tenir un projet, il faut attendre des mois, regrette l’un d’entre eux, parfois plus d’un an. Ce temps est ponctué de réécriture ad nauseam d’un dossier qui doit décrire le film avant qu’il ne soit tourné ! »  Ce temps de travail n’est évidemment pas payé. Si la chaîne finit par refuser le projet, l’investissement financier et personnel n’aura servi à rien. Cela place les auteurs et réalisateurs en situation d’extrême vulnérabilité, et contribue au nivellement par le bas et au formatage, telle la généralisation de l’enquête incarnée, soit le degré zéro de la réalisation.

Si les chaînes ont bien sûr droit à une ligne éditoriale et font naturellement plus de malheureux que d’heureux, « on n’a pas d’explications claires sur le budget des films, qui parfois est le même pour un doc qui nécessite une année d’enquête et un autre qui prend six mois de travail, ni d’explications sur le choix d’une diffusion, déplore un autre auteur réalisateur. Tout ce qu’on observe, c’est que les sujets indolores et sans réel point de vue ont plus de chances d’être acceptés, pour des questions d’audience ». S’agissant de deniers publics, il serait temps d’instaurer un peu plus de transparence et d’éthique au sein du groupe. Et pourquoi pas commencer par mettre en ligne l’ensemble des projets présentés, acceptés ou refusés ? « Cela permettrait un contrôle, de pointer la pertinence des projets », juge un producteur. Ce serait un bon début.

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