Libre-échange : L’acharnement libéral

Discuté en catimini, un accord plurilatéral prévoit l’ouverture à la concurrence des services publics.

Thierry Brun  • 3 juillet 2014 abonné·es

Il a fallu que Wikileaks mette sur la place publique, le 19 juin [^2], une partie du projet d’accord sur le commerce des services (ACS), en particulier une annexe sur les services financiers, pour que la polémique autour des accords de libre-échange reparte de plus belle [^3].

Parallèlement aux négociations en cours autour du partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI, TTIP en anglais) entre les États-Unis et l’Union européenne (UE), une cinquantaine d’États membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ont poursuivi à Genève, du 23 au 27 juin, une négociation sur la libéralisation du commerce « de tous les secteurs de services » et donc la levée des protections concernant les services publics locaux et nationaux, indique l’un des rares documents de la Commission européenne. On retrouve dans cette coalition, baptisée « Really Good Friends » (« vrais bons amis » des services), le duo États-Unis-Union européenne, principaux promoteurs de l’ACS (TISA en anglais), qui concerne la santé, les transports, l’énergie, l’eau, etc. « L’ACS, dont les négociations se déroulent actuellement dans le plus grand secret et de façon non conforme aux règles de l’Organisation mondiale du commerce, constitue une tentative délibérée de privilégier les bénéfices des entreprises et des pays les plus riches au monde, au détriment de ceux qui sont le plus dans le besoin », dénonce l’Internationale des services publics [^4], une des ONG mobilisées avec des syndicats contre ce « projet néolibéral qui met en cause les fondements mêmes de la souveraineté politique », pointe Attac Suisse. En septembre 2013, en pleine polémique autour du PTCI, 350 organisations de la société civile, représentant 115 pays, avaient signé une lettre de protestation adressée à tous les ministres du Commerce pour exprimer leur ferme opposition à cet accord plurilatéral. Les révélations de Wikileaks mettent en évidence une vague de « nouveaux traités négociés dans notre dos », déplorent les ONG. Une partie de billard à plusieurs bandes que le Conseil européen a validée en donnant son feu vert à la Commission le 15 février 2013 pour que celle-ci entame des discussions ouvrant la voie à un accord international sur le commerce des services sur les mêmes bases que le partenariat transatlantique en discussion avec les États-Unis. L’ACS reprend ainsi les règles de l’Accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC, dont le cycle de négociation, dit de Doha, est dans l’impasse depuis 2011. Il s’agit notamment d’imposer une libéralisation des services financiers (banque, assurance, retraite, épargne, etc.), absente des tractations dans le cadre du PTCI, en raison de l’opposition ferme des États-Unis. Ainsi, ce qui n’est pas obtenu dans l’un des accords peut l’être dans l’autre : dans le cas de l’ouverture à la concurrence des services de l’eau, qui interdirait leur remunicipalisation par les collectivités, la Commission européenne défend les mêmes objectifs de libéralisation du commerce des services dans ses deux mandats, pour inciter les multinationales établies aux États-Unis à s’engager sur ces marchés.

Une note favorable à un accord plurilatéral sur le commerce des services, publiée par la Commission en février 2013, indique que « les ministres de l’OMC se sont engagés à aller de l’avant avec les négociations dans certains domaines couverts par les négociations de Doha, dans le but de parvenir à des accords provisoires ou définitifs fondés sur un consensus plutôt que sur la conclusion d’un engagement unique et large ». Selon Wikileaks, les pourparlers de 50 pays pour un accord sur le commerce des services couvrent déjà près de 70 % du commerce mondial des services. Mais la Commission a l’espoir que l’accord, qui pourrait être conclu en 2015, « puisse, à terme, être intégré dans le système de l’OMC. Lors des entretiens préliminaires au lancement des négociations, l’UE a préconisé de façonner le futur accord de sorte à le rendre compatible avec l’accord général sur le commerce des services (AGCS) de l’OMC », ce qui étendrait son application aux 159 pays membres de l’OMC.

[^2]: « Secret Trade in Services Agreement (TISA)-Financial Services Annex », wikileaks.org/tisa-financial/

[^3]: Lire « La bombe qui fait exploser les services publics dans le monde », l’Humanité du 25 juin.

[^4]: L’Internationale des services publics a publié le 28 avril un rapport intitulé : « L’ACS contre les services publics », www.world-psi.org

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