« Match retour » de Corneliu Porumboiu : On refait le match

Retour sur une rencontre disputée en 1988, prétexte à évocations entre un père et son fils.

Jean-Claude Renard  • 3 juillet 2014 abonné·es

Le 3 décembre 1988, se jouait en Roumanie un nouveau derby entre les deux clubs de la capitale, le Steaua et le Dynamo, les deux meilleures équipes du pays. La première est le club de l’armée, la seconde celui de la police secrète. Charmante confrontation. Deux années auparavant, le Steaua remportait face à Barcelone la Coupe d’Europe des clubs champions (l’actuelle Ligue des champions). La rivalité entre les deux clubs était montée d’un cran, dans cette lutte pour le pouvoir, un an avant la chute de Ceausescu.

Le match se dispute alors dans des conditions exécrables, sur un terrain devenant au fil des minutes un champ de boue et de neige, sur lequel les joueurs font valoir, malgré tout, leurs prouesses techniques, leur vivacité. Match retour pourrait être plus ou moins une rediffusion animée, sinon habillée, de cette énième rencontre opposant l’armée à la police secrète. Corneliu Porumboiu en fait autre chose. Parce que, ce 3 décembre 1988, c’est son père qui arbitre. C’est donc avec lui qu’il revoit la partie. Dans toute la durée du match, le temps des 90 minutes et des arrêts de jeu (effaçant seulement la pause entre les deux mi-temps). Ni le réalisateur ni son père n’apparaissent à l’image. C’est en voix off qu’ils commentent, analysent, poussent l’anecdote, expliquent les conditions d’alors, additionnent les pas de côté.

Corneliu Porumboiu livre ainsi un film en train de se faire presque à son insu, sans texte préétabli, avec ses aléas, ses incertitudes, ses hésitations, ses moments de silence, ses mots qui cherchent la bonne pente au fond des mémoires. Une intention formelle à la fois simple, sobre et époustouflante, concentrée sur un écran de télé éclaboussé de neige, où circule un ballon jaune. Une intention qui conduit à « refaire le match » entre un père et son fils, improviser sur lui. Une remarque dans ce film ouvert, plus esthétique et intime qu’un banal retour sur un match de foot : la rencontre est vue le plus souvent en plans larges, les joueurs apparaissant très peu en gros plans, comme les supporters, composant une foule compacte, indéfinissable. L’arbitre n’a presque pas de visage. On ne le voit pas, on l’aperçoit. À la moindre bousculade, à la moindre action d’antijeu, la caméra se tourne vers le public entassé dans les gradins. Les tacles sévères ne connaissent pas le ralenti, les échauffourées sont ignorées. Cette censure répond à un principe : donner une bonne image du sport. Ce jour-là, il n’y avait que trois caméras dans le stade !

Cinéma
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