Nos amours compliquées

Un mari délaissé, une union racontée selon les principes de la physique quantique, un artiste en proie au doute : toutes les passions sont dans le Off.

Anaïs Heluin  • 24 juillet 2014 abonné·es
Nos amours compliquées
© Photo : Tristan-Jeanne Valès

Quand j’étais Charles

de Fabrice Melquiot

Charles aurait voulu «  clouer le hasard au mur de sa chambre  ». Sa Maryse rencontrée dans son coin de Morvan où il travaille comme technico-commercial en machines agricoles, il rêvait de l’aimer pour la vie. Depuis longtemps, elle avait des aventures, Maryse. Mais tant qu’elle partageait son quotidien, il était prêt à tout accepter. Et puis elle est partie. Laissant son Charles seul avec ses moissonneuses-batteuses et les chansons de son idole, Aznavour. Avec des souvenirs, aussi, qui permettent au mari blessé de faire durer l’amour au-delà de la séparation. Dans son Éloge de l’amour, qui a inspiré Fabrice Melquiot pour cette pièce créée à Avignon, Alain Badiou déplorait le fait que le théâtre s’intéresse peu aux amours qui s’inscrivent dans la durée. À travers la triste mais banale histoire de Charles, l’auteur et metteur en scène prouve que les romances au long cours peuvent avoir une intensité dramatique. Interprété par un Vincent Garanger poignant dans son monologue désespéré autant que dans ses déchirantes interprétations d’Aznavour, Charles dit bien plus que sa petite solitude. Du fond du karaoké qu’il fréquente tous les vendredis soirs, il parle d’une région désertée par ses habitants. Quand j’étais Charles n’est pas seulement un hymne à l’amour conjugal ; c’est aussi un regard tendre posé sur la campagne française et les passions qui la traversent.

Théâtre Girasole , 17 h 10. Texte aux éditions de l’Arche.

Constellations

de Nick Payne

Comme Charles et Maryse chez Fabrice Melquiot, Marianne et Roland se rencontrent dans des circonstances banales : lors d’un barbecue chez une amie commune. Elle enseigne la physique quantique, il est apiculteur. Constellations, du jeune auteur anglo-saxon Nick Payne, dont Arnaud Anckaert réalise la première création en langue française, est l’histoire de leur relation. Mais c’est aussi toutes les histoires qu’aurait pu vivre le jeune couple. Amour fusionnel, infidélité, ruptures et retrouvailles s’enchaînent en de courts dialogues interrompus par quelques secondes d’obscurité. Très simple, presque laconique, l’écriture de Nick Payne évoque celle de Pinter. L’intrigue aussi, où, loin d’atténuer le caractère impénétrable des personnages et de leurs actions, la science l’accentue. Car leur union est racontée selon les principes de la physique quantique. Comme tout atome qui se respecte, Marianne et Roland vivent simultanément plusieurs réalités. Constellations est un défi lancé à l’interprétation. Noémie Gantier et Maxence Vandevelde le relèvent haut la main : ils excellent à passer d’un extrême à l’autre de la passion amoureuse en un clin d’œil. Réduit à une grande boîte en contreplaqué percée de deux portes qui tient lieu de plateau, le décor place l’ensemble dans un non-lieu propice à toutes les configurations amoureuses.

La Manufacture/Patinoire , 16 h 25.

Les Visages et les Corps

de Patrice Chéreau

Grand invité du Musée du Louvre en 2010, Patrice Chéreau y présentait un programme intitulé les Visages et les Corps. Sous le même titre, il a aussi publié un ouvrage rassemblant divers documents qui traitent de son rapport à l’humain, autant dans la mise en scène que dans la vie. Philippe Calvario a fait de cette matière disparate l’objet de son spectacle, où il incarne lui-même l’homme de théâtre. Sur un plateau presque nu, un livre à la main, il campe un artiste en proie au doute, qui prétend avoir choisi la mise en scène par défaut à la place de la musique ou de la danse, pour lesquels il ne se trouvait pas assez de talent. En même temps, ce « seul en scène » est une somptueuse déclaration d’amour au théâtre. Pleine de paradoxes, comme tout amour.

La Condition des soies , 16 h 35.

Théâtre
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