Ebola : « L’épidémie atteint une ampleur inédite »

Le virus se propage à une allure alarmante en Afrique de l’Ouest. Selon le médecin Gilles Raguin, la communauté internationale a sous-estimé la faiblesse des systèmes de santé des pays touchés. Il est urgent que les pays riches se mobilisent.

Ingrid Merckx  • 11 septembre 2014 abonné·es
Ebola : « L’épidémie atteint une ampleur inédite »
© **Gilles Raguin** est directeur du groupement d’intérêt public français Esther (www.esther.fr). Photo : AFP PHOTO / DOMINIQUE FAGET

Le 2 septembre, Médecins sans frontières (MSF) a lancé l’alerte concernant l’épidémie d’Ebola qui frappe cinq pays d’Afrique de l’Ouest : le Liberia, le plus touché, la Guinée, le Nigeria, le Sénégal et la Sierra Leone. Il reste trois mois pour agir, selon l’ONG, qui juge la situation « hors de contrôle »  : systèmes sanitaires désorganisés et dépassés par l’afflux de malades, soignants contaminés, émeutes, cadavres dans les rues, mais aussi augmentation rapide du nombre de cas. « L’épidémie a commencé il y a six mois, mais ce n’est que le 8 août qu’elle a été déclarée “urgence de santé publique d’intérêt international” », a souligné Joanne Liu, présidente de MSF. Aux États-Unis, un premier essai clinique de vaccin a été lancé. En quoi peut-il venir en aide à l’Afrique ? En France, les hôpitaux se préparent à accueillir des patients contaminés. La réponse des Nations unies est-elle adaptée ?

Comment évaluez-vous l’urgence de la situation ?

Gilles Raguin : La situation diffère selon les pays, mais elle appelle des réponses urgentes. L’opérateur public français Esther a commencé ses activités au Liberia, notamment à Monrovia, en 2010. Notre rôle consiste à renforcer les capacités des structures hospitalières sur place pour lutter contre le sida et les autres maladies infectieuses. Nous intervenons à la demande de nos collègues et des autorités nationales. Or, il est très difficile de répondre à leurs besoins depuis que l’épidémie d’Ebola s’est déclarée. Nous sommes également présents au Cameroun, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, qui se préparent à l’arrivée du virus sur leur territoire. Au Liberia, la situation est catastrophique et la propagation de la maladie impressionnante. Jusqu’à la semaine dernière, nos collègues manquaient de matériel de protection minimum, en particulier de gants. Certains collègues ont succombé à Ebola. Plusieurs structures de santé ont dû fermer.

Qu’est-ce qui freine l’intervention internationale ?

MSF est arrivé à saturation. Or, hormis MSF, personne n’est vraiment équipé pour répondre à de grandes crises sanitaires. Nous sommes cantonnés à une aide à distance. Esther a contribué à fournir des traitements expérimentaux, mais nous dépendons de dispositifs gouvernementaux qui souffrent d’une lenteur de réaction. Par ailleurs, il est difficile de mobiliser des volontaires pour partir au Liberia. Enfin, se posent des problèmes logistiques : de nombreuses compagnies aériennes ont interrompu leurs vols vers les pays atteints.

Comment expliquer ce retard de réaction ?

On a connu une vingtaine d’épidémies d’Ebola depuis 1996. Mais il s’agissait d’épidémies « auto-limitées », c’est-à-dire s’éteignant d’elles-mêmes. La dynamique épidémique actuelle a pris tout le monde de court. La réponse internationale a sous-estimé la faiblesse des systèmes de santé des pays touchés. En outre, les précédentes épidémies ont eu lieu en milieu rural – comme aujourd’hui en RDC. Alors qu’au Liberia, en Sierra Leone et en Guinée, l’épidémie sévit en milieu urbain. C’est un contexte inconnu avec Ebola. La faiblesse de réaction est principalement due à l’absence d’expérience antérieure comparable.

D’où pourrait venir une aide rapide ?

De l’Union africaine, des forces militaires, des organisations communautaires… et des pays riches : les États-Unis mobilisent des moyens militaires et, avec le Japon, envisagent d’envoyer des traitements expérimentaux. Mais il faut aussi plus de matériel de protection, de lits et de volontaires. Une grande réunion sur les traitements s’est tenue les 4 et 5 septembre à Genève. L’OMS a validé le développement de huit médicaments et de deux vaccins. Mais cela prendra du temps, et ces produits émergeront en quantité limitée. Il est peu probable qu’ils servent à l’épidémie actuelle.

Comment Ebola rejoue-t-il l’abandon de l’Afrique ?

Une épidémie représente forcément l’ouverture d’un marché pour les fabricants de médicaments. Mais aucun gros industriel ne viendra développer un traitement/vaccin contre Ebola pour les pays du Nord. Si Ebola met le pied sur le continent européen, par exemple, nos systèmes de santé sont tels qu’il sera vite stoppé. Certains industriels se mettent à fabriquer des produits pour des maladies négligées. Les institutions internationales ont vocation à les développer. Mais il existe des délais incompressibles.

La propagation de l’épidémie tient-elle aussi à un manque d’information au Liberia ?

Il y a un véritable problème d’information concernant la contamination et la prise en charge. Nous avons tous vu des images et des témoignages désastreux faisant état de stigmatisation des contaminés, de croyances magiques, de paranoïa… Les épidémies génèrent toujours des peurs et des fantasmes irrationnels. Ce n’est pas propre au Liberia. C’est néanmoins un pays où le taux d’alphabétisation est très faible. Il faudrait y lancer des campagnes dans tous les dialectes.

Que peut-on dire du virus actuel ?

Certains virologistes craignent qu’il évolue vers une forme endémique, persistante. Mais c’est trop tôt pour le dire. L’OMS parle de 20 000 morts. Des experts font des scénarios à 100 000 décès. Ce sont des estimations… Nous n’avons pas connaissance du nombre exact de contaminés. Il faut probablement multiplier par deux ou trois les chiffres officiels. Sans compter que des personnes meurent directement d’Ebola, et certaines, atteintes d’autres maladies, meurent faute de soins. L’effort doit d’abord consister à interrompre l’épidémie. S’exprime aussi un besoin en matière d’outils diagnostiques. Il faut envoyer des experts, mais surtout aider les systèmes de santé à se structurer.

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