En finir avec la Ve République

L’obstination de François Hollande à maintenir un cap contraire aux attentes de ses électeurs met en lumière les vices d’une constitution qui reste son dernier rempart.

Michel Soudais  • 11 septembre 2014 abonné·es
En finir avec la Ve République
© Photo : BRAVO-ANA

Derrière la crise politique, nous vivons une crise de régime. Le chef de l’État, impopulaire comme aucun de ses prédécesseurs ne l’a jamais été, est désormais critiqué au sein de son propre parti. Après avoir rétréci sa majorité, il persiste à ne pas vouloir changer le cap politique qu’il a fixé, tournant le dos à ses engagements de campagne. Est-ce tenable ? Si d’aventure les députés renouvellent, le 16 septembre, leur confiance au gouvernement, malgré toutes les critiques que nombre d’entre eux ont formulées sur ses orientations ces dernières semaines, la fragilité politique du pouvoir a toutes les chances de s’accentuer.

Pour autant, François Hollande entend bien poursuivre jusqu’au terme du quinquennat ce qu’il appelle « sa mission ». La Constitution de la Ve République, qui ne permet pas de révoquer le Président, l’y autorise. Mais en se drapant derrière « le mandat que  [lui] donne le peuple » pour défendre une politique contraire aux attentes qui lui ont valu ce mandat, le chef de l’État met en lumière l’un des principaux vices démocratiques de la Ve. Ce faisant, il contribue à en hâter involontairement le discrédit. À gauche, le sentiment que notre « système politique » est « à bout de souffle », comme le diagnostiquait le 7 septembre le socialiste Julien Dray, se répand dans des sphères insoupçonnées. Lors de la campagne présidentielle de 2012, seuls Jean-Luc Mélenchon, le candidat du Front de gauche, qui en avait fait un des thèmes phares de sa campagne, et, mezza voce, Eva Joly, la candidate d’EELV, proposaient de passer à la VIe République. Aujourd’hui, l’ex-coprésident du Parti de gauche, qui a annoncé fin août vouloir se consacrer à la création d’un Mouvement pour la VIe République – il devait lancer une plateforme sur les réseaux sociaux cette semaine –, n’est plus seul à vouloir « changer la règle du jeu ». « Ces deux dernières années, j’ai eu la démonstration que nous sommes au bout du système présidentiel, qui permet à un homme de diriger seul pendant cinq ans, sans tenir compte de l’avis du peuple », constate Cécile Duflot dans l’essai qu’elle vient de publier, De l’intérieur (Fayard). Après avoir « cru en François Hollande », elle tire de sa participation gouvernementale la conclusion qu’ « il faut passer à la VIe République et redonner du poids au Parlement » .

Les frondeurs mettent eux aussi en accusation « les institutions de la Cinquième » qui enferment le Parlement dans un carcan et réduisent les parlementaires à n’être que des godillots. Même Jean-Christophe Cambadélis n’exclut plus de faire évoluer les institutions. À La Rochelle, le premier secrétaire a souhaité que la question soit abordée lors du prochain congrès du PS. Pour tourner réellement la page du régime institué par le général de Gaulle ou accoucher d’un énième bricolage ? Car tous ceux qui rêvent d’une nouvelle république sont loin d’en avoir la même vision. Le PRG n’envisage d’évolution institutionnelle que vers « un vrai régime présidentiel ». Ce à quoi tendent aussi les jeunes ambitieux de Cohérence socialiste, le micro-courant de Yann Galut et de Karine Berger. Ils proposent de supprimer la fonction de Premier ministre pour que le président de la République soit pleinement « en première ligne ». D’autres, au sein du PS et à EELV, imaginent au contraire une république parlementaire.

Quand l’avocat Jean-Pierre Mignard, intime de François Hollande depuis trente ans, suggère à son ami de « changer de constitution », c’est pour en finir avec le « néomonarchisme français » de la Ve qui « clive  [le pays] là où il faudrait le rassembler » et, surtout, « le prive des alliances nécessaires » au redressement de la France. Car, face à la montée de Marine Le Pen, cet avocat ne voit de solution que dans « une grande coalition, comme en Allemagne », laquelle est inenvisageable sans l’instauration d’une « République nouvelle ». Transformer pour gouverner au centre n’entre assurément pas dans les projets du Front de gauche. « Changer les institutions, c’est faire le choix d’un changement radical par la méthode de la démocratie », explique Jean-Luc Mélenchon. Comme il l’écrivait déjà en 2007 dans une contribution à un ouvrage collectif, Quelle VIe République ? (Le Temps des cerises), publié en vue de l’élection présidentielle, « on ne peut prétendre penser sérieusement la VIe République sans penser les ruptures sociales, culturelles et civiques qui doivent s’opérer conjointement ». Pour lui, l’enjeu n’est pas « seulement de passer au régime parlementaire », mais de « reconstruire de fond en comble tous les rouages de la vie commune pour les soumettre à la règle de la délibération collective et à l’impératif de l’intérêt général ». En finir avec la Ve République serait alors bien plus qu’un changement de numéro.

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