L’homme qui fait tanguer le PS

À La Rochelle, militants, frondeurs et manifestants ont chahuté les lieutenants socialistes, au premier rang desquels le Premier ministre.

Michel Soudais  • 4 septembre 2014 abonné·es
L’homme qui fait tanguer le PS
© Photo : AFP PHOTO / XAVIER LEOTY

Chaude ambiance, dimanche matin, pour la séance de clôture de La Rochelle. Le Premier ministre, Manuel Valls, doit s’exprimer pour la première fois devant les militants et cadres socialistes depuis la formation de son nouveau gouvernement. C’est peu dire qu’il est attendu. Nombre d’entre eux s’avouent « troublés » par le remaniement gouvernemental intervenu six jours plus tôt et l’éviction d’Arnaud Montebourg et de Benoît Hamon. Au point que Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire désigné début avril sans la légitimité d’un vote des militants, s’est senti obligé de déclarer dans un entretien au Monde que « cette crise était inutile au regard des difficultés et des doutes que connaissent les Français ». Plus dérangeant, le discours du Premier ministre devant le Medef passe mal auprès d’une base désorientée. Cette « provocation », comme beaucoup la qualifient dans les conversations, et la nomination d’Emmanuel Macron, perçue comme « un symbole désastreux », approfondissent un peu plus la fracture que les renoncements successifs de l’exécutif ont ouverte entre les militants et le gouvernement. Même le très diplomate Claude Bartolone, président de l’Assemblée nationale, en convenait samedi à demi-mot : « Compte tenu de la situation, je ne serais pas allé au Medef, j’aurais réservé mon premier discours pour l’université d’été du PS. »

Pourtant, ce dimanche matin, David Assouline, responsable de l’organisation de l’université d’été, voudrait croire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes socialistes. Premier orateur inscrit, il se félicite qu’en vingt-deux ans d’existence ce rendez-vous estival n’a jamais attiré autant de participants –  « 4 500, c’est un record »  –, interprète le grand nombre d’intervenants invités, dont il égrène les noms, comme une preuve de la vitalité d’un parti qui reste « le cœur battant de la gauche », et vante la qualité des débats. « Quel démenti à ce qu’on voit dans les journaux et sur les écrans ! », lance-t-il, suscitant des huées contre les journalistes qui « montrent autre chose » et font penser « qu’il y a eu du sang sur les murs » de La Rochelle. Le démenti au démenti n’a pas tardé. Une douzaine de minutes plus tard, des huées et sifflets plus forts encore interrompent David Assouline quand il lance : « Oui, avec Manuel, on peut dire “j’aime l’entreprise” … » Quand il tente de reprendre le fil de son intervention, il est interrompu aux cris de « Vive la gauche », scandés depuis l’aile sud de la salle. Et quand la clameur s’estompe de ce côté, c’est de l’aile nord que monte le slogan que se sont choisi les frondeurs pour nommer leur nouveau collectif, suscitant un rappel à l’ordre énervé de l’orateur. Accueilli au pupitre par les mêmes « huées positives », Jean-Christophe Cambadélis salue un « beau slogan »  : « Quel socialiste pourrait dire le contraire ? »

Manuel Valls y aura droit à son tour. Il essuie même quelques sifflets et huées quand il assume d’aider les entreprises « pour renforcer l’économie », quand il affronte les perturbateurs en les sermonnant sur l’image qu’ils donnent à la France. Ou quand il s’étonne des « nombreuses réactions et des nombreux commentaires » sur la nomination de son ministre de l’Économie, dont il s’est gardé de prononcer le nom. Habile, il enchaîne en regrettant qu’il n’y ait pas eu autant de commentaires pour se féliciter qu’ait été confié « pour la première fois à une femme, elle aussi jeune, Najat Vallaud-Belkacem, [la] lourde mission d’être à la tête du ministère de l’Éducation nationale ». Habitué des auditoires socialistes qu’il provoque depuis plus qu’un quinquennat, Manuel Valls a toutefois su prendre son auditoire dans le sens du poil. Promettant qu’il n’y aurait « pas de remise en cause des 35 heures » mais évitant soigneusement les sujets qui fâchent. Pas un mot sur le travail du dimanche, sur lequel le gouvernement envisage, selon les Échos, de légiférer par ordonnance. Rien sur les seuils sociaux ou l’encadrement des loyers. Devant le Medef, il s’en était pris au code du travail ; devant les socialistes, il a attaqué les dividendes excessifs. Après s’être affiché aux côtés de Pierre Gattaz, il a même lancé, provocateur : « La gauche s’est toujours placée du coté des plus faibles, des exclus. » « Sauf les Roms », ont commenté quelques militants. N’en déplaise à David Assouline, ce week-end, le PS a bel et bien étalé ses divisions. Et si le Premier ministre, applaudi plusieurs fois debout par une majeure partie de la salle, qu’il avait invitée à se lever, s’est bien acquitté de l’exercice, c’est au prix d’un « discours convenu mais creux », notait à la sortie Emmanuel Maurel, leader du courant Maintenant la gauche. « Un discours sans risque pour assumer une posture d’autorité, mais qui ne répond pas aux questions », notait pour sa part la députée (légitimiste) Sandrine Mazetier. Les questions posées par les frondeurs mais aussi par les autres formations de gauche, sans oublier les manifestants, pour beaucoup des électeurs de gauche, qui tout au long du week-end ont cerné l’Encan, le centre de congrès qui abrite l’université d’été, lui donnant un air de bunker : militants pour les sans-papiers, pour les droits du peuple palestinien, intermittents, cheminots, fonctionnaires, opposants à un hyper-incinérateur… Les frondeurs avaient convoqué leurs soutiens dans un amphithéâtre de l’université de La Rochelle. Autant pour rappeler le sens de leur démarche –  « Un refus du renoncement aux engagements de la campagne de 2012, un refus de la confiscation brutale du pouvoir par l’exécutif, le refus de voir les partenaires de la gauche s’éloigner », a énoncé le député Pouria Amirshahi –, que pour commencer à fédérer l’ensemble des contestataires, élus ou simples militants, autour d’un appel rendu public à cette occasion, dans un collectif baptisé « Vive la gauche ». Dans une salle de 400 places qui débordait de tous côtés, les parlementaires qui, au printemps, ont refusé de voter la confiance au gouvernement Valls 1 ou n’ont pas voté le pacte de responsabilité, se sont succédé à la tribune dans une ambiance d’AG étudiante. Si François Hollande n’a pas été épargné – Laurent Baumel refusant par exemple de renoncer à ses engagements pour la fidélité à « un chef que les circonstances nous ont donné » –, les intervenants s’en sont surtout pris à Manuel Valls, dénonçant qui son « social-libéralisme, idiot utile de la droite » (Henri Emmanuelli), qui un « coup d’État idéologique » (Pascal Cherki), ou sa «  blietzkrieg lexicale et idéologique » (Gérard Filoche).

Effet de « l’accélération » voulue par le gouvernement, des figures que l’on ne s’attendait pas à voir en ce lieu étaient présentes. Si la venue de Christiane Taubira, qui a passé quelques minutes sur les bancs de cette assemblée, a suscité une avalanche de commentaires, la présence de deux proches de Martine Aubry, François Lamy, ancien ministre de la Ville, et Gilles Pargneaux, secrétaire de la fédération du Nord, a moins été relevée. « On est solidaires. C’est le PS qu’on aime qui était là, pas uniquement l’aile gauche », a expliqué à Politis Gilles Pargneaux, sans cacher qu’il était là en quelque sorte en service commandé. La maire de Lille doit s’exprimer « très prochainement » sur la politique économique et sociale. Sans doute à la mi-septembre. Avec l’ambition, explique-t-il, « qu’en 2017 ce soit à nouveau un socialiste qui soit aux commandes de la France ».

Politique
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