L’ombre de Gattaz

« Gouverner, c’est tenir ». Un slogan désespérant quand la crise sociale et le malaise moral ne cessent de s’approfondir .

Denis Sieffert  • 18 septembre 2014 abonné·es
L’ombre de Gattaz

Ainsi donc, et sans la moindre surprise, les députés ont finalement accordé leur confiance au gouvernement de Manuel Valls. Comme prévu, les frondeurs socialistes n’ont pas osé franchir le pas d’un vote négatif qui eût placé François Hollande devant le seul vrai choix qui vaille : dissoudre et ramener la droite au pouvoir, ou appeler à Matignon un Premier ministre qui se conforme aux promesses de la campagne de 2012. La politique du pire ou la démocratie. Seul point positif dans cette affaire, les abstentionnistes socialistes ont été plus nombreux qu’il y a cinq mois. Vingt-huit contre onze [^2] lors du vote de confiance du mois d’avril. Témoignage, pour l’instant stérile, de l’ampleur de la crise qui secoue la majorité. Mais cette dissidence trop timorée a raté l’occasion de rendre l’espoir à la gauche. Et elle n’a pas contribué à réconcilier la représentation nationale avec nos concitoyens. Car le vote a aussi mis en évidence la fracture qui existe entre les députés et les Français, qui, eux, n’hésiteraient pas un instant, si la question de confiance leur était posée.

Mais il faut prendre les « frondeurs » pour ce qu’ils sont. Ou, plus exactement, savoir ce qu’ils ne sont pas, c’est-à-dire un courant de gauche du Parti socialiste. Ils sont un regroupement hétéroclite de personnalités venues d’horizons très divers, les uns réellement mobilisés par la politique antisociale du gouvernement, les autres, simplement ulcérés par l’autoritarisme de Manuel Valls. Hélas, il ne s’agit pas d’un simple contretemps. Car nous basculons maintenant dans l’inconnu. Péniblement, laborieusement peut-être, mais sûrement, Manuel Valls dispose d’un blanc-seing. Or, il est apparu, mardi, plus crispé que jamais sur ses dogmes, allant répétant que « gouverner, c’est tenir ». Un slogan désespérant quand la crise sociale et le malaise moral ne cessent de s’approfondir dans le pays et que les échecs s’accumulent.

Mais la semaine politique ne s’est pas achevée avec le vote des parlementaires. On attendait jeudi la prestation de François Hollande. Apparemment tout était réglé comme du papier à musique. Le Premier ministre devant les députés, le président de la République devant les Français. Et entre les deux échéances, un matraquage médiatique comme on en a rarement vu. Quelle télé, quelle radio n’avait pas « son » Manuel Valls ? Preuve que, malgré la manœuvre parlementaire et le chantage à la dissolution, qui ont finalement assez bien marché, on n’est loin d’être serein du côté de Matignon. D’autant plus que deux intrus se sont invités dans ces jours surchargés. Nicolas Sarkozy qui revient, alléché sans doute par l’odeur du sang, et avide de vengeance. Il bénéficiera, à coup sûr, d’un accueil médiatique enthousiaste. Il fait vendre, et le teasing a été savamment orchestré depuis des mois. Ce n’est pourtant pas gagné pour l’ex, qui va devoir faire place nette au milieu d’une droite à peu près aussi unie que les Atrides. Et qui va surtout devoir franchir les nombreux obstacles judiciaires qui jonchent son parcours. Mais, dans l’immédiat, l’autre intrus est plus inquiétant. C’est évidemment Pierre Gattaz. En choisissant d’intervenir dans la presse à la veille du discours de Manuel Valls et trois jours avant la conférence de presse de François Hollande, le président du Medef a voulu montrer qu’il n’était pas seulement le « patron des patrons », mais aussi celui de l’exécutif. Et il a passé les commandes : suppressions de jours fériés, remise en cause du salaire minimum, ouverture des commerces en soirée et le dimanche, assouplissement de la durée du travail… J’en passe et des meilleures.

Un saccage en règle du droit du travail. M. Gattaz donne le la de la politique gouvernementale. Et nous sommes beaucoup moins sûr que Bruno Le Roux, le chef de file des députés socialistes, qu’aucune de ces « propositions » ne verra le jour. Elles s’inscrivent si logiquement dans le discours de Manuel Valls et de son ministre de l’Économie ! Tout au plus pourrait-on reprocher à Pierre Gattaz ses mauvaises manières. Manuel Valls a eu beau, mardi, parler de « provocation », il ne peut protester trop bruyamment. Car, à qui la faute si le président du Medef parle sur ce ton au Premier ministre et au président de la République ? Les deux têtes de l’exécutif n’ont eu de cesse de faire des concessions de ce côté-là. En allant à Jouy-en-Josas se faire acclamer par l’université d’été du Medef, Manuel Valls s’est placé délibérément sous tutelle. L’ombre de Pierre Gattaz est derrière lui. Peu ou prou, il lui faut maintenant obtempérer. Ce n’est certainement pas contraire à ses convictions, ni ne heurte son ambition d’être le « Schröder français », mais ça fait mauvais effet. Il n’empêche que nous sommes au bord d’un basculement dans un libéralisme auquel notre pays avait jusqu’ici échappé. 

[^2]: Il n’y a eu que 28 abstentions parmi les députés socialistes. Ce qui fait 31 avec les 3 chevènementistes.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 5 minutes