« Jihad » : Le sens des mots

L’expression « jihadistes » pour désigner des mouvements violents qui se réclament de l’islam est très contestable.

Denis Sieffert  • 2 octobre 2014 abonné·es

Les « jihadistes » : c’est ainsi que l’on dénomme les courants qui se réclament de l’islam pour pratiquer la violence. Nous avons nous-mêmes recours à cette dénomination parce qu’elle est entrée dans notre langage courant. L’usage du mot « jihad » n’est pourtant pas exempt d’ambiguïtés parce qu’il simplifie à l’excès un concept complexe. L’islamologue Tariq Ramadan en rappelle la racine : « Ja-ha-da », qui signifie « faire un effort », mais aussi « résister » [^2]. C’est donc, au sens premier, une notion spirituelle. Le grand théologien islamique Averroès (1126-1198) parle surtout d’un effort pour résister à ses passions et à ses désirs. Après lui, d’autres théologiens parleront de résistance à l’ego.

Mais le concept est évidemment extensible. Il a évolué au gré des époques et des situations. C’est aussi la « résistance » par la main ou par l’épée aux persécutions et à l’oppression. Cela, dès la période dite médinoise de Mahomet face au clan rival des Quraysh. L’action défensive devient offensive et agressive lorsqu’il s’agit d’imposer la « loi » aux « infidèles » ou aux tenants d’une autre lecture du Coran. Il s’agit alors de réformer les individus et de leur imposer des comportements jugés « conformes ». Mais le spécialiste de l’islam François Burgat a évidemment raison de rappeler que l’intrusion violente dans les comportements individuels n’est pas l’apanage des « jihadistes » [^3]. Dans la phase dite de modernisation du monde arabe, « les États eux-mêmes, rappelle-t-il, ne se sont jamais privés de s’en prendre aux symboles des appartenances culturelles et religieuses ». Il cite les barbes coupées en public en Égypte sous Nasser, les arrachages de tchadors par les partisans du shah d’Iran, les pendaisons de porteurs de fez dans la Turquie d’Atatürk. Il faut y ajouter les humiliations infligées par les puissances coloniales. Sans parler, bien sûr, des expéditions à caractère colonial, dont la plus récente et la plus dévastatrice, l’invasion américaine de l’Irak de 2003. De quoi alimenter un jihad sans limite et sans rapport avec son sens premier. Mais nous sommes ici dans l’histoire et la pire des politiques, et non plus dans la religion.

[^2]: Muhammad, vie du prophète , Tariq Ramadan, Presse du Châtelet, 2006.

[^3]: L’Islamisme en face , François Burgat, La Découverte, 1996.

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Jihad : Pourquoi ils partent
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