« Still The Water », de Naomi Kawase : Une vague sur la mère morte

Dans Still The Water , la Japonaise Naomi Kawase filme le cycle de la vie et l’âme de la mer.

Christophe Kantcheff  • 1 octobre 2014
Partager :
« Still The Water », de Naomi Kawase : Une vague sur la mère morte
© **Still The Water,** Naomi Kawase, 1 h 59. Photo : FUTATSUME NO MADO/Japanese Film Partners/Comme des Cinémas/Arte France Cinéma/LM

Le projet de Naomi Kawase, depuis son beau premier film, Suzaku  (1997), est de filmer les âmes. Dans Still The Water, alors qu’une chèvre vient d’être sacrifiée et que son agonie dure, Kyoko regarde la tête de la bête, au premier plan de l’écran, dont le souffle s’éteint peu à peu, et dit : « Son âme est partie. » La caméra de la cinéaste, elle aussi, a capté cette invisible envolée. Chez Kawase, l’âme est autant ce qui perdure au-delà de la mort que ce qui, au sens premier, anime les êtres et les choses. Certains cinéastes auront beau poser leur caméra face à la mer, celle-ci leur échappera toujours. À l’écran, elle scintillera peut-être, mais comme de l’eau morte. Dans Still The Water, le simple spectacle de la mer subjugue le spectateur d’émotion. C’est une matière « vivante », comme le dit Kaito, l’amoureux de Kyoko. Qu’il s’agisse des fonds marins ou des vagues immenses qui se rabattent dans un geste majestueux.

Naomi Kawase filme la nature comme si elle était une personne dont elle serait profondément éprise. La dimension panthéiste de son cinéma passe par une forte incarnation des éléments, qui y jouent un rôle déterminant. Ils sont plus que jamais présents ici, Naomi Kawase ayant tourné Still The Water sur l’île d’Amami, dont ses ancêtres sont originaires. Mais revenons à Kaito, selon qui la mer est « vivante ». Pour lui, c’est une raison de s’en méfier. D’autant qu’on vient d’y retrouver le cadavre d’un homme. Pourtant, à la fin du film, Kaito y nagera en compagnie de Kyoko, tous deux nus comme aux premiers temps, après avoir fait l’amour. Lui qui vient de la grande ville, Tokyo, s’est réconcilié avec la mer. Chez Naomi Kawase, il n’y a pas de sérénité sans assentiment. « Ce qui compte, c’est de rester humble face à la nature. Ça ne sert à rien de tenter de lui résister », dit un personnage. Mais cet assentiment à la nature et à ses cycles ne tient ni de la résignation ni d’une forme de béatitude existentielle proche d’une croyance new age. On en veut pour preuve l’un des motifs principaux de Still The Water et la manière dont il est traité : la mort prématurée de la mère de Kyoko, atteinte d’une maladie incurable. « Pourquoi faut-il que les gens naissent puis qu’ils meurent ? », s’interroge à haute voix Kyoko. Cette destinée commune, qui attend sa mère dans un avenir proche, la heurte, même si son ton est calme. Kyoko ne sera pas non plus satisfaite quand une femme lui dira que la chaleur du cœur de sa mère restera dans le sien. « Ça ne suffit pas », répond-elle.

La cinéaste montre des scènes du paisible amour que partagent la mère de Kyoko, son père et la jeune fille. Elles se déroulent sur le seuil de leur maison, au pied d’un très grand arbre, qui est comme un protecteur, ainsi qu’un monde particulier pour la mère, qui y voit ce que les autres ne perçoivent pas, car elle a des pouvoirs chamaniques. La longue séquence de son agonie est certainement l’une des plus belles qu’on ait vues au cinéma. La mourante demande qu’on lui chante des airs mélancoliques –  « Faut-il vraiment que tu partes […]  ? Si tu t’en vas, que vais-je devenir ? », dit l’un d’eux – tandis que la scène oscille entre douce quiétude et infinie tristesse. Still The Water est aussi un film sur la naissance d’un amour, celui que s’avouent mutuellement Kaito et Kyoko dans une jolie scène, chacun remerciant l’autre, qui lui a dit « je t’aime ». La cinéaste affectionne les longs travellings pour les filmer, plus complices que jamais, dans leurs périples à bicyclette, elle se tenant debout derrière lui. Kyoko est la première à demander à Kaito de faire l’amour. La réticence du garçon vient du fait qu’il s’insurge contre sa mère, qui, depuis que celle-ci est séparée de son père, a des relations avec d’autres hommes. En fait, ce qu’il refuse, c’est qu’un amour puisse s’éteindre. Une pensée naïve qui débouche sur un comportement normatif. À l’inverse, dans une scène là encore tout en épure, un très vieil homme croit voir, l’espace d’un instant, la femme qu’il aimait en la personne de Kyoko. Il en est tout bouleversé. Son amour perdure, mais l’apparition était une illusion. Still The Water est un film d’une harmonie pure sur le chaos des émotions essentielles.

Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don