Espagne : Victoire symbolique des souverainistes catalans

La montée en puissance des indépendantistes ne répond pas seulement à des motivations économiques. Elle résulte aussi d’aspirations politiques et culturelles.

Jean Sébastien Mora  • 13 novembre 2014 abonné·es
Espagne : Victoire symbolique des souverainistes catalans
© Photo : Albert Llop / Anadolu Agency / AFP

Barcelone baigne encore dans un sentiment à la fois frénétique et contenu, celui que l’on ressent lorsque l’avenir se joue. Dimanche 9 novembre, plus de deux millions de Catalans, environ la moitié des inscrits, ont bravé l’interdiction du tribunal constitutionnel espagnol en se rendant aux urnes. « C’est un nouveau pas vers l’indépendance : nous avons démontré que la justice espagnole ne nous fait plus peur », se réjouit Carme Forcadell, universitaire, leader de l’Assemblée nationale catalane (ANC), une association à l’initiative des immenses manifestations indépendantistes depuis 2012.

En l’absence d’un référendum légal, 80,7 % des votants catalans se sont dits favorables à l’indépendance lors d’une consultation symbolique organisée par la Generalitat, le gouvernement catalan : un résultat à interpréter avec prudence, car les unionistes avaient annoncé qu’ils boycotteraient le scrutin. Les conséquences du vote sont cependant considérables d’un point de vue politique. Pour la première fois, le président de la communauté autonome de Catalogne, Artur Mas, et son parti, la Convergencia i Unio (CiU), sortent d’une attitude historiquement légaliste à l’égard du pouvoir central espagnol, en passant outre une décision du tribunal constitutionnel. La marche de manœuvre de Madrid ne cesse de se réduire. Le Premier ministre, Mariano Rajoy, s’appuie sur un électorat conservateur réfractaire à toute concession à l´égard des minorités nationales. Mais poursuivre devant les tribunaux les leaders catalans et les 50 000 bénévoles du scrutin ne ferait que renforcer l’aspiration séparatiste, voire légitimer une déclaration unilatérale d’indépendance.

Madrid se cantonne donc à des déclarations, comme celle de son ministre de la Justice, Rafael Catala, qui a qualifié la consultation de « journée de propagande politique sans aucune validité démocratique ». Côté français, le motif économique est régulièrement avancé pour expliquer la revendication souverainiste catalane. En effet, après l’explosion de la bulle immobilière, la récession a cristallisé la question du déficit fiscal catalan. Selon la Generalitat, la communauté autonome est certes la plus riche mais aussi la plus endettée car elle «   reverse trop   » à l’État espagnol. Cependant, à l’instar des indépendantistes écossais, les nationalistes catalans n’ont pas que des motivations économiques. Ils revendiquent un projet républicain [^2], rejetant le principe de monarchie parlementaire. La Catalogne est devenue le théâtre de vastes manifestations à partir de 2010, quand le tribunal constitutionnel espagnol a refusé de valider l’ Estatut, le nouveau statut pour la communauté autonome, adopté pourtant par 73 % de ses électeurs. «   Madrid n’a pas respecté notre vote. Nous avons eu le sentiment d’être spoliés », rappelle Carme Forcadell.

Par ailleurs, la période montre aussi que la question linguistique demeure le principal moteur du nationalisme. Avec le retour de la droite espagnole au pouvoir en 2011, le souverainisme catalan s’est affirmé sous la menace du néoconservatisme espagnol. Cette tendance dominante du Parti populaire, héritée du franquisme et cherchant à restaurer les principes d’autorité, de grandeur de la nation et de la religion. Enfin, loin des feux médiatiques hexagonaux, la Catalogne a aussi vu naître, à partir de 2012, une série d’initiatives populaires inédites dans le sillage des mobilisations mondiales revendiquant la «  démocratie réelle   »  [^3] : l’ANC, les appels à la désobéissance civile et fiscale, ou encore le processus destituant-constituant, un travail coordonné par Gerardo Pisarello, professeur en droit constitutionnel, visant à définir de manière populaire et démocratique la constitution du futur État catalan. «  C haque mobilisation a affaibli la droite et renforcé le contenu social de la revendication   », analyse aujourd’hui Pisarello. L’arrivée au Parlement catalan de la Candidature d’unité populaire (CUP), un parti d’extrême gauche catalaniste, a offert une autre conception de la démocratie représentative (mandat non renouvelable et indemnités plafonnées). Ainsi, contrairement à ce qui a beaucoup été écrit, Artur Mas n’est pas le moteur du processus souverainiste.

Au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, le réveil de la «   politique de la rue   » lui a imposé un nouvel agenda politique. Depuis le rejet du référendum, les tensions sont aussi extrêmement vives au sein du Parlement catalan. En effet, la gauche (les républicains d’ERC, Esquerra Republicana de Catalunya, la CUP et les écologistes) réclame des élections anticipées au caractère référendaire, prélude à une possible déclaration unilatérale d’indépendance. Sous pression, Artur Mas hésite cependant car les sondages lui sont très défavorables et annoncent une victoire inédite de la gauche catalane. À l’évidence, seul un bon résultat du jeune mouvement Podemos et une victoire du Parti socialiste espagnol aux élections générales de 2015 (favorables à une option fédérale) pourraient désamorcer la crise catalane.

[^2]: La République catalane a été proclamée à quatre occasions : au XVIIe siècle, par Pau Claris, au XIXe siècle par Baldomer Lostau, en 1931 par Francesco Macià, puis en 1934 par Lluís Companys.

[^3]: Le Principe démocratie , Albert Ogien et Sandra Laugier, La Découverte (2014).

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