Gaz à effet de serre : « Positif, mais insuffisant »

Pierre Radanne analyse l’accord entre les États-Unis et la Chine sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Patrick Piro  • 20 novembre 2014 abonné·es
Gaz à effet de serre : « Positif, mais insuffisant »
© **Pierre Radanne** , spécialiste des questions énergétiques et écologiques, accompagne depuis deux décennies les négociations internationales sur ces sujets. Photo : STR/AFP

À quelques jours de la conférence annuelle des Nations unies sur le climat, qui se tiendra à Lima, au Pérou, du 1er au 12 décembre, les deux plus importants pollueurs de la planète se sont mutuellement engagés. Le 12 novembre, ils ont entériné un accord afin de réduire leurs émissions de CO2 : une diminution de 26 à 28 % en 2025 par rapport à leur niveau de 2005 pour les États-Unis, et une décroissance à partir de 2030 pour la Chine. C’est une première, alors que l’Union européenne s’est donné l’ambition, en octobre dernier, d’abaisser ses émissions de 40 % d’ici à 2030 et que près de 200 nations commencent à converger sur les objectifs du grand accord climatique international espéré pour la fin 2015, à Paris.

En quoi cet engagement sino-états-unien est-il novateur ?

Pierre Radanne : Il faut le mettre en perspective avec l’échec de la conférence de Copenhague en 2009. Alors que les négociations visant à un accord planétaire pour enrayer le dérèglement climatique étaient enlisées autour d’un texte confus et plombé par de multiples oppositions, la dernière nuit de négociations a été dominée par un face-à-face États-Unis-Chine. Cette phase en « entonnoir » s’est dénouée par une surenchère « à la baisse », chacun attendant de l’autre qu’il s’engage le premier à des réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Le texte final était si mauvais qu’il n’a pas été validé par les autres pays, l’ONU se contentant simplement d’en « prendre note ». L’annonce commune du 12 novembre montre que la leçon de Copenhague a été comprise : on a retourné l’entonnoir, les deux principaux protagonistes tentent de s’accorder bien en amont du sommet de Paris. Le mouvement a été lancé en septembre, quand le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a convoqué tous les membres des Nations unies afin de les remobiliser.

Quel intérêt ces deux pays trouvent-ils aujourd’hui à s’avancer sur les engagements climatiques ?

Fortement touchés par les conséquences du dérèglement, ils ne peuvent plus rester les bras croisés. Les États-Unis sont frappés par d’énormes sécheresses et des ouragans de plus en plus violents, comme on l’a vu avec Sandy ou Katrina. Quant à la Chine, elle voit le désert de Gobi s’étendre et s’approcher de Pékin, le régime des fleuves himalayens devenir chaotique sous l’effet de fontes des neiges beaucoup plus rapides qu’auparavant. Le pays, qui reste très préoccupé par l’équité sociale, reconnaît que celle-ci est menacée par de graves problèmes environnementaux, un déficit de ressources et des difficultés d’accès à l’énergie. La Chine, via son plan quinquennal, est beaucoup plus comminatoire sur les questions d’environnement et de CO2 que bien d’autres pays ! Mais elle exclut radicalement de se laisser dicter sa position par l’extérieur.

Cependant, Barack Obama est ligoté par un Congrès opposé à tout accord international contraignant les États-Unis, et la Chine défend son « droit » au développement…

Tout le monde en est conscient, c’est pourquoi l’accord représente avant tout une avancée diplomatique. Si l’on y regarde de plus près, l’engagement d’Obama reste modeste. Rapporté aux émissions des États-Unis en 1990, année de référence internationale, il correspond à une réduction de l’ordre de 11 à 12 %. C’est un simple rattrapage de leur dérapage, donc, quand le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) estime qu’il faudrait que les pays industrialisés aient abaissé leurs émissions de 25 à 40 % en 2030. Le Président américain peut par ailleurs défendre le fait qu’il a obtenu en contrepartie, de la part de Pékin, un engagement inédit, exigé de longue date par les Républicains. La Chine, pour sa part, n’est pas plus calée sur la trajectoire souhaitable pour les décennies à venir, bien qu’elle soit devenue la première source de CO2 mondiale, et qu’un habitant y émet désormais en moyenne plus que dans l’Union européenne. On pourrait donc attendre du pays un effort plus significatif, alors que sa croissance et sa démographie ralentissent. En comparaison, l’Union s’est fixé une ambition trois fois plus importante.

Plus de forme que de fond, au bout du compte ?

Un an avant le rendez-vous crucial de Paris, cette rencontre sino-états-unienne est plutôt une bonne nouvelle. Mais il apparaît évident que les deux pays devront aller plus loin. Dans une bonne négociation, on n’abat pas toutes ses cartes du premier coup. On peut donc s’attendre à des annonces supplémentaires d’ici à la fin 2015.

Cet accord à deux n’affaiblit-il pas la démarche multilatérale de l’ONU ?

Je ne le pense pas. Car le contexte, depuis Copenhague, a considérablement évolué. On ne l’a guère relevé, mais, alors que l’annonce sino-états-unienne occupait l’espace médiatique, plus de 190 pays de l’ONU sont tombés d’accord, en préparation de Lima, sur un large éventail de points de fond : au-delà de 2 °C d’augmentation des températures, le risque de conflits s’accroît fortement ; il faut diviser globalement par deux les volumes de gaz à effet de serre d’ici à 2050 ; les émissions doivent s’infléchir dans tous les pays, pas seulement industrialisés ; il faut passer à un développement sans énergies fossiles ; les pays doivent tous s’engager et simultanément… Il s’agit d’un acquis politique considérable, je n’ai pas souvenir d’une telle situation depuis le sommet de la Terre à Rio, en 1992. Le débat va désormais se focaliser sur l’épineux problème de la répartition des efforts et des moyens. Les pays en développement considèrent toujours comme insuffisants les engagements de réduction des pays industrialisés, ainsi que leurs aides financières pour l’adaptation au dérèglement de populations du Sud qui n’en sont pas responsables. Et l’Union européenne, jusqu’à présent le principal bailleur de fonds sur ce terrain, est en crise économique… Le bras de fer sur les engagements concrets sera donc d’autant plus musclé que la substance doctrinale collective est désormais établie.

Écologie
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