Le climat, une affaire politique

Peu importe que l’on appelle ça « décroissance », « sobriété » ou « post-croissance », l’idée est la même. Elle suppose un autre partage des richesses.

Denis Sieffert  • 6 novembre 2014 abonné·es
Le climat, une affaire politique

Nous voilà en face d’une étrange contradiction. Nul ne peut nier que les climato-sceptiques, comme on les appelait trop aimablement, ont perdu la bataille culturelle. On ne les voit quasiment plus balader leur mauvaise foi sur les plateaux de télévision. Leurs arguments ont été écrasés sous des tonnes d’études et de statistiques irréfutables, ou contredits par la simple et tragique évidence de la fonte des glaciers, pour ne citer que cet exemple spectaculaire.

Même les journalistes amateurs de sports de combat ont renoncé à cette fausse objectivité qui consiste à organiser des confrontations entre ceux qui pensent que la Terre est ronde et ceux qui prétendent qu’elle est plate. Balayés, donc, les experts vénaux, et laminés les marchands d’illusions pseudo scientifiques ! Leur débâcle est complète. Et pourtant, rien n’indique que leur point de vue ne l’emportera pas dans les faits, pour le plus grand malheur de l’humanité. C’est que les meilleures démonstrations du monde ne suffisent pas à vaincre l’inertie d’un système. Moins encore, à abolir les conflits d’intérêts. Et, comme souvent – c’est sa tragédie personnelle –, François Hollande incarne jusqu’à la caricature cette contradiction. Voilà un président de la République qui se prépare à recevoir, dans tout juste un an, la grande conférence sur le climat. Il en est fier. Il y pense les jours de fête et en parle avec brio. Puis il oublie. Ainsi, en visite au Canada en début de semaine, il n’a rien trouvé de plus urgent que de se rendre en Alberta, cette vaste province de l’ouest, dont le sous-sol est exploité et surexploité par les plus grandes compagnies pétrolières. Là, il a pris la parole pour souhaiter que la France « continue à mettre en valeur les immenses richesses du nord-ouest canadien », et il s’est livré à une apologie vibrante de nos « techniques d’exploitation, de transformation, et d’acheminement des hydrocarbures ». Puis, de nouveau, il a évoqué la grande conférence de Paris sur le climat. La contradiction est si énorme qu’elle pourrait faire sourire si l’enjeu n’était pas d’une telle gravité.

Mais l’incohérence n’est pas seulement le fait de François Hollande. En ce même lieu, combien de politiciens néolibéraux auraient préféré, comme lui, regarder la courbe ascendante de la croissance, plutôt que la laideur des raffineries et des puits de pétrole. Et plutôt les chiffres de l’emploi que la déforestation, la dévastation de la faune et les statistiques records du cancer. Aussi, lorsqu’on entend le représentant de l’un des pays les plus pollueurs du monde, John Kerry, brocarder « ceux qui décident d’ignorer ou de contester  » le rapport du Giec, on se pince pour y croire. Bien sûr que François Hollande n’aurait pas dû faire ce détour par l’Alberta, lieu emblématique du productivisme, et exemple d’un monde qui court à sa perte ! Son discours affaiblit tout ce qu’il pourra dire désormais dans la perspective de la conférence sur le climat. Et son compagnonnage de circonstance avec un Premier ministre canadien qui avait décidé, en 2011, de retirer son pays du protocole de Kyoto ruine un peu plus sa crédibilité personnelle, qui n’avait pas besoin de ça. On n’a évidemment aucune peine à faire le lien avec le double langage du gouvernement sur les grands projets inutiles qui agitent aujourd’hui notre société. Qu’il ait fallu la mort d’un jeune homme pour que l’on abandonne l’idée aberrante de ce barrage de Sivens, après que Manuel Valls l’eut ardemment soutenue, en dit long sur la conscience écologique de l’équipe au pouvoir. C’est parfois à désespérer des politiques.

Même si la difficulté est réelle, on ne peut s’en tirer en sacrifiant un jour l’environnement pour sauver l’emploi, et en sacrifiant le lendemain l’emploi pour sauver l’environnement. Ce qui conduit d’ailleurs généralement à échouer sur tous les fronts. La réconciliation de deux impératifs que tout semble opposer passe par un renversement total de nos logiques économiques. Peu importe que l’on appelle ça « décroissance », « sobriété » ou « post-croissance », l’idée est la même. Elle suppose un autre partage des richesses. Tout n’en dépend pas, mais beaucoup en dépend. On ne peut demander la même sobriété de consommation au pauvre et au riche. C’est évidemment là que le bât blesse : la question du climat pose avant tout un problème politique, éminemment révolutionnaire dans la conception de la société. Recréer des circuits courts, rapprocher la consommation de la production, respecter les saisons et la diversité des régions, c’est autant de révolutions. Certaines s’accomplissent déjà, mais elles ne sont jamais ou presque l’œuvre des principaux responsables politiques, pris dans un système qu’ils ont patiemment construit, sans vision d’avenir, et le nez sur leur agenda électoral.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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