Tour Triangle : revers d’un grand projet contesté

Le refus du Conseil de Paris de déclasser la parcelle où devait être construite cette immense tour de bureaux paralyse le projet, pour la plus grande satisfaction de ses opposants.

Lena Bjurström  • 17 novembre 2014
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Tour Triangle : revers d’un grand projet contesté
© Photo : Maquette du projet de tour Triangle du cabinet d'architecte Herzog & de Meuron, au Pavillon de l'Arsenal, à Paris. (JOEL SAGET / AFP)

180m de haut, pyramide de verre miroitant, cette tour pourrait bientôt s’élever au cœur du Parc des expositions, aux portes de la capitale (XVe). Enfin, bientôt… Le projet à 500 millions d’euros du géant de l’immobilier commercial Unibail-Rodamco, bien qu’activement soutenu par la mairie de Paris, traîne depuis 2008, empêtré dans les critiques des habitants comme des élus locaux.

Le Conseil de Paris s’est prononcé ce lundi sur le déclassement de la parcelle où la tour devrait être construite, porte de Versailles. Un scrutin certes technique, mais aux enjeux bel et bien politiques. Car, en refusant le déclassement de la parcelle à une courte majorité (5 voix), les élus ont paralysé le projet. A tel point qu’en défaut de majorité, la maire de Paris Anne Hidalgo a décidé de déférer le résultat devant le tribunal administratif. (Voir encadré)

Ce lundi, le Conseil de Paris s’est prononcé contre le déclassement de la parcelle devant accueillir la tour Triangle, par 83 voix contre 78. Résultat, le projet est paralysé. De quoi agacer sérieusement Anne Hidalgo, qui portait déjà cette initiative dans l’équipe de Bertrand Delanoë. La maire de Paris ne s’est donc pas laissé démonter et a immédiatement suspendu le résultat du vote, le déférant au tribunal administratif. Le motif ? Certains élus n’auraient pas respecté le déroulement du scrutin secret et montré leur bulletin au moment de se prononcer. La tenue de ce vote à bulletin secret était fortement contestée par les opposants au projet qui y voyaient une manœuvre de la mairie pour débaucher des élus. L’exécutif d’Anne Hidalgo se savait certes en minorité, puisqu’à l’opposition des Verts et du Parti de gauche s’étaient rajoutées celles, fort opportunes, de l’UDI et de l’UMP. Pour Olivier Rigaud, du collectif d’opposants au projet, en refusant de reconnaître sa défaite, la maire de Paris s’est montrée «très maladroite» , et a «entamé une bonne part de sa crédibilité» .

La tour Triangle, dénoncée sur le fond comme sur la forme, n’est donc pas près de faire l’unanimité.

Ce «grand geste architectural du XXIe siècle» , selon les mots de Jean-Louis Missika, adjoint à la mairie de Paris chargé de l’urbanisme, ne convainc en effet ni certains riverains ni les écologistes.

«C’est une tour ! , s’agace Olivier Rigaud, membre du collectif d’opposants et conseiller du XVe arrondissement, Non seulement ça défigure le paysage parisien et ça fait de l’ombre sur les rues adjacentes, mais c’est un gouffre économique. Une tour coûte 4 à 5 fois plus cher à construire qu’un bâtiment classique, sans parler de l’entretien. Et d’un point de vue écologique, c’est une absurdité.»

Les concepteurs du projet ont pourtant vanté ses qualités environnementales sur leur site. La tour Triangle serait «au minimum 30% plus performante que ce qu’impose la réglementation thermique issue des lois Grenelle» et consommerait «près de quatre fois moins d’énergie que la moyenne du parc tertiaire existant» .

Un discours «peu crédible» , selon les écologistes, qui rappellent qu’une tour est structurellement énergivore, tant dans la fabrication de ses matériaux (aciers et vitrages spéciaux, béton performant…) que dans son fonctionnement. En effet, une fois l’immeuble construit, il faut compter l’impact énergétique de ses ascenseurs et de la climatisation. « Une tour, même optimisée, reste sept fois moins écologique qu’un bâtiment de cinq à sept étages, affirme David Belliard, co-président du groupe écologiste au Conseil de Paris, comment peut-on considérer les données avancées par les concepteurs comme crédibles alors qu’elles ne prennent même pas en compte le coût énergétique des ascenseurs ?»

“Grand projet inutile”

Illustration - Tour Triangle : revers d'un grand projet contesté - Maquette du projet de Tour Triangle du cabinet d'architecte Herzog & de Meuron, au Pavillon de l'Arsenal, à Paris. (JOEL SAGET/AFP)

Le fond du projet est tout autant critiqué que sa forme. Pour ses détracteurs, la tour Triangle fait partie de ces “grands projets inutiles”, imposés au nom de la sacro-sainte attractivité. Car si cette tour offrirait quelque 5 700 m2 d’équipements d’intérêt collectif (crèche, maison de santé), elle n’en reste pas moins un espace dévolu aux entreprises (80 000 m2), dans une capitale qui ne compte plus ses bureaux inoccupés.

«Ce projet a été dévoyé , explique Olivier Rigaud, à l’origine, il était question de rénover le Parc des expositions, en créant un nouveau centre de congrès. Mais, rapidement, l’idée d’une tour a été imposée, le projet d’espace de conférences a été évacué, et c’est devenu un projet d’immeuble de bureaux, totalement déconnecté des activités du Parc des expositions.» Et de rappeler que 90 000 m2 de bureaux sont déjà en construction à Balard (non loin de la porte de Versailles). «Une tour supplémentaire est-elle vraiment utile ? Des bureaux, on en manque pas, on ne sait même plus comment les occuper !» 1,2 million de m2 de locaux seraient aujourd’hui vacants dans la capitale.

«Ce n’est pas n’importe quel immeuble de bureaux, plaide Jean-Louis Missika, Les bureaux dont nous disposons aujourd’hui ne répondent pas aux besoins des entreprises, qui s’exilent à l’extérieur de Paris. » Selon lui, cette tour Triangle, associée à la rénovation du Parc des expositions, relancerait la dynamique économique parisienne. «Sa construction ouvrirait 5 000 emplois dans le secteur des BTP. Et, à terme, si la tour est remplie à 90%, pourrait assurer 5 000 emplois pérennes.»

La logique économique du projet ne convainc pas les écologistes. «Avec cette volonté d’attirer les sièges des grands groupes dans Paris, on entre dans une logique de compétition avec la petite couronne, à l’heure où l’on devrait bien plutôt renforcer la solidarité des territoires, souligne David Belliard, où se trouve donc l’intérêt général ?»

«Nulle part» , selon Danielle Simonnet. L’élue du Parti de gauche s’agace des «faux arguments» déployés par la mairie de Paris pour justifier un projet «d’intérêt 100% privé» .

«Remettons les choses à leur place , poursuit-elle. La tour Triangle est un projet porté par un énorme groupe qui fait de la spéculation sur l’occupation de ces futurs locaux. La capitale a déjà énormément de bureaux neufs, et vides. En revanche, elle a un manque criant de logements sociaux. Les villes font la course aux investisseurs privés au lieu de chercher, par l’investissement public, à répondre aux besoins des citoyens. Qu’on ne me parle donc pas d’intérêt général.»

Écologie
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