États-Unis : Retour de la question raciale

La relaxe de l’officier de police Darren Wilson, qui a tué un jeune Noir à Ferguson, a relancé le débat sur les inégalités. Revue de presse par Alexis Buisson, correspondance à New York.

Alexis Buisson  • 4 décembre 2014 abonné·es
États-Unis : Retour de la question raciale
© Photo : Scott Olson/Getty Images/AFP

Pour capter l’humeur des États-Unis, on peut toujours compter sur les couvertures du magazine The New Yorker. La prochaine une, à paraître le 8 décembre, a été révélée : elle montre la majestueuse arche de la ville de Saint-Louis (Missouri), brisée. Sa partie droite est blanche, sa partie gauche noire. L’illustration, par un artiste de Saint-Louis, met en image la rupture entre l’Amérique blanche et l’Amérique noire, après qu’un jury populaire a décidé de ne pas poursuivre le policier Darren Wilson, qui a abattu un jeune Noir le 9 août dans les rues de Ferguson. Depuis, Wilson a annoncé sa démission de la police pour raisons de sécurité. Cette décision de ne pas poursuivre le policier a relancé le débat sur les relations raciales aux États-Unis. Dans un éditorial collectif, le New York Times a tiré à boulets rouges sur le procureur chargé d’instruire l’affaire, « connu dans les communautés minoritaires pour être dans la poche de la police ». « L’affaire a eu un écho à travers le pays – New York, Chicago et Oakland – car le meurtre d’un jeune Noir par la police est fréquent dans la vie d’un Afro-Américain et c’est une source d’inquiétude pour les parents noirs dans tout le pays », a poursuivi le quotidien.

Comme d’autres médias, le Times est revenu sur les mots utilisés par Darren Wilson pour décrire le jeune Michael Brown –  « démon », « Hulk » … – pendant son témoignage devant le jury. « Brown était devenu la menace noire, le fantôme terrifiant qui hante l’imaginaire blanc », analyse le quotidien. De l’autre côté du débat, le très libéral Wall Street Journal a accusé « les progressistes de soutenir un discours anti-policier qui nuit en réalité aux Afro-Américains ». « Les Noirs ne représentent que 13 % de la population mais sont responsables de la majorité des meurtres aux États-Unis, et plus de 90 % des victimes noires de meurtre sont tuées par d’autres Noir s, affirme le journaliste noir Jason Riley, dans un édito très commenté sur le site du quotidien. Les tensions entre la police et les communautés noires défavorisées sont un vrai problème, mais elles ne peuvent être résolues sans parler des taux de criminalité très forts au sein de la communauté afro-américaine – une telle discussion est taboue aujourd’hui. » Pour le quotidien USA Today, Ferguson est bel et bien un « moment décisif pour la question raciale » aux États-Unis, notant que le pays « demeure profondément divisé sur les événements de Ferguson ». Il cite un sondage montrant que « sur 1 000 adultes, 62 % des Afro-Américains pensent que le policier Darren Wilson est coupable. Seuls 22 % des Blancs sont du même avis » .

D’autres se montrent plus sceptiques. The Washington Post, dans un essai intitulé « Ce que les Blancs doivent savoir, et faire, après Ferguson », appelle l’Amérique blanche à se saisir du débat. « Quand un jeune homme noir ou quand une communauté noire est négligée, les commentateurs appellent à une “conversation nationale” sur la race. Mais cette conversation ne se poursuit jamais », observe l’essayiste (blanche) Sally Kohn. Si les Blancs exigent pro-activement que cette conversation se produise, elle se produira. Mais encore faut-il le vouloir, et accepter la critique de notre groupe racial et de ses dynamiques. » Même pessimisme dans les colonnes du Detroit Free Press, le journal de Detroit, l’une des villes les plus « noires » des États-Unis : « Nous ne voulons pas avoir une conversation sur la race car cela nous forcerait à parler du fait que l’Amérique s’est construite sur l’inégalité entre les Noirs et les Blancs, une inégalité préservée par la loi pendant des siècles. »

D’autres, pointant la réaction timide de Barack Obama, premier Président noir du pays, espèrent qu’il lancera ce débat. « S’il ne peut pas résoudre les problèmes raciaux aux États-Unis, qui le pourra ? », se demande le Chicago Tribune. Le Washington Post juge qu’une intervention de Barack Obama ne changera rien. « La guérison ne viendra pas du Président. Elle viendra de la création d’un système judiciaire où la police traite les citoyens avec respect, où le pouvoir est réparti équitablement, et où les individus peuvent avoir foi dans le fait que leur vie et celle de leurs enfants ont de la valeur. » Le magazine The Atlantic dénonce pour sa part le mirage de l’Amérique incolore. « De la même manière que le mandat de Léon Blum en France n’a pas abouti à une France post-antisémite, il ne faut pas s’attendre à ce que la présidence de Barack Obama donne lieu à une Amérique post-raciale. » Le magazine se demande comment le pays peut élire et réélire un Président noir et toujours être « raciste ». « Rien dans un pays intrinsèquement raciste n’empêche un leader individuel issu d’une classe de paria d’être élu. La présidence n’en a que faire des origines, à partir du moment où le leader parle au nom de l’État », analyse The Atlantic .

Les États-Unis sont-ils donc condamnés à rester prisonniers de la question raciale ? Si l’on en croit une analyse de la chaîne d’information CNN, « non ». « Pour la première fois dans l’histoire du pays, un nombre raisonnable d’Américains blancs considère le traitement des Afro-Américains comme un problème. Par ailleurs, le débat national est influencé par l’arrivée récente de dizaines de milliers d’immigrés qui viennent de pays dont les forces de police sont corrompues. Ils arrivent avec une méfiance aux aguets, partagée par les plus jeunes, dont de jeunes Blancs pauvres. » En attendant, les manifestations se poursuivent pour éviter un nouveau Ferguson.

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