Écrire ensemble un nouveau récit national

TRIBUNE. Notre société continue de véhiculer des réflexes culturels coloniaux de mépris ou de condescendance.

Christian Delorme  • 29 janvier 2015 abonné·es

On ne peut que se réjouir du grand mouvement d’émotion et de solidarité nationales qui a poussé plus de 4 millions de Français dans les rues des grandes villes de France, le dimanche 11 janvier, après les attentats terroristes qui ont causé la mort de plusieurs de nos concitoyens. Néanmoins, tous les habitants de France, loin de là, n’ont pas fait ce choix, et plusieurs catégories de la population sont restées volontairement en retrait de ce grand élan. Parmi elles, nos concitoyens issus des migrations venues de notre ancien empire colonial, mais aussi les forces vives du catholicisme français (les « cathos-cathos », qui restent une réalité non négligeable, quoique minoritaire, de la société française, malgré la déchristianisation de plus en plus marquée de cette dernière).

L’absence très visible de nos concitoyens « franco-maghrébins », « franco-africains » ou encore « de culture musulmane » (nommer les gens s’avère toujours délicat, d’où tous ces guillemets) est de celles qui doivent interroger le plus, dès lors que ceux-ci constituent aujourd’hui environ 10 % de l’ensemble de la population de notre pays. Plusieurs raisons ont été apportées à celle-ci, en particulier le fait que nombre de musulmans, sans être pour autant « radicaux », étaient – demeurent – plus que mal à l’aise avec les caricatures de Charlie Hebdo, dont celles montrant de l’irrévérence à l’égard du prophète Mahomet. Mais le décrochage d’une part importante de nos concitoyens originaires de notre ancien empire colonial est très certainement dû davantage encore à l’immense désillusion que ceux-ci éprouvent à l’égard de notre pays, qui n’a pas tenu, vis-à-vis d’eux, ses promesses d’égalité et de fraternité.

Force est de constater que, dans nos banlieues populaires, où le chômage des jeunes est massif, des dizaines de milliers de jeunes gens et d’adolescents ne se reconnaissent pas comme des « Français », quand bien même ils ont la nationalité française. Cela scandalise toute une frange de notre nation et de notre classe politique, qui voit là un refus manifeste « d’intégration ». Mais notre République a-t-elle accompli tout ce que l’on pouvait attendre d’elle pour faire entrer ces populations nouvelles dans notre vivre-ensemble ? A-t-on tenu majoritairement un discours de bienvenue dans notre nation, ou un discours davantage marqué par la suspicion, voire un discours qui insiste plutôt sur l’illégitimité de cette présence dans notre nation ? Qu’on se souvienne des tentatives de réforme du code de la nationalité, à la fin des années 1980, justement pour bloquer l’accès automatique à cette nationalité des enfants de familles algériennes ! Le Premier ministre, Manuel Valls, qui n’est pas suspect de complaisance exagérée au bénéfice des jeunes de nos banlieues et des personnes de l’immigration outre-mer, a osé évoquer, ces derniers jours, des situations « d’apartheid » et de ghettoïsation. Souvent inconsciemment, de fait, notre société continue de véhiculer des réflexes culturels coloniaux, de mépris ou de condescendance (ce qui revient au même). Les discriminations au logement, dans l’accès à l’emploi et dans la distribution des salaires, ou encore en ce qui concerne les politiques policières et la gestion judiciaire, sont profondément installées dans le fonctionnement de nos institutions comme dans celui, plus global, de la société. Il est urgent de s’y atteler de manière vigoureuse, notamment en travaillant à l’écriture d’un nouveau récit national qui incorporera des parts de l’histoire arabo-berbéro-musulmane qui nous sont communes, et en acceptant d’assumer ensemble des mémoires antagonistes et blessées.

J’ai commencé cette tribune en évoquant également la grande absence, dans les rassemblements du 11 janvier, des « cathos-cathos », c’est-à-dire les forces militantes et jeunes de l’Église catholique française d’aujourd’hui. Celles et ceux qui ont conduit et fourni les bataillons de la Manif pour tous ont clairement refusé de se trouver au milieu des « Je suis Charlie ». Or, en boudant ces rassemblements, ces forces vives du catholicisme national ont pris le risque de se marginaliser davantage encore dans notre société et de creuser davantage encore le lit de la déchristianisation. Trente ans plus tôt, je suis certain que la quasi-totalité des évêques français auraient marché avec les autres.

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