Argentine : L’affaire Nisman descend dans la rue

Dans un contexte préélectoral, la mort suspecte du procureur a donné lieu à une énorme manifestation anti-gouvernementale. Correspondance à Buenos Aires, Soizic Bonvarlet.

Soizic Bonvarlet  • 26 février 2015 abonné·es
Argentine : L’affaire Nisman descend dans la rue
© Photo : AFP PHOTO / NA - AGLP

«C e sont les larmes de Nisman, ému devant la multitude venue lui rendre hommage », commentait un manifestant sous les trombes d’eau qui se sont abattues à Buenos Aires pendant la marche du 18 février. D’autres ironisaient sur un pacte avec le diable, scellé par le gouvernement pour refréner la foule. Des commentaires qui révèlent l’âpreté du débat au sein de la société argentine depuis la mort suspecte d’Alberto Nisman. D’un côté, l’opposition accuse le gouvernement d’être responsable directement ou indirectement du décès du procureur. De l’autre, un gouvernement « fin de règne » aiguise sa propre théorie du complot, arguant que cet événement sert les intérêts de ses adversaires. Une rhétorique proche de celle d’un Nicolás Maduro au Venezuela, fustigeant des « nantis antipatriotes liés aux capitaux internationaux et à la diplomatie états-unienne » qui voudraient mettre à bas les gouvernements progressistes d’Amérique latine.

Rappel des faits. Le 18 janvier, Alberto Nisman est retrouvé sans vie à son domicile, une balle dans la tête. Il était attendu quelques heures plus tard au Parlement, armé d’un réquisitoire accusant la présidente Cristina Kirchner et plusieurs hauts fonctionnaires. Ceux-ci auraient voulu enterrer l’enquête sur l’attentat contre l’Association mutuelle israélite d’Argentine (AMIA) qui avait fait 85 victimes en 1994. Le mémorandum ratifié avec l’Iran – pays suspecté d’être à l’origine de l’attentat – aurait favorisé de juteux contrats bilatéraux. Alors suicide ? Suicide provoqué ? Homicide ? L’enquête s’empêtre dans une foule d’éléments. Mais, au-delà d’un scénario digne d’un film d’espionnage, il s’agit d’un séisme politique à quelques mois de la présidentielle d’octobre. À l’initiative des collègues magistrats du défunt, la Marche du silence du 18 février a montré que l’affaire n’est pas près de s’apaiser. Malgré la pluie, donc, c’est une marée humaine qui a envahi les rues. Des milliers de parapluies ont défilé du Congrès à la place de Mai, siège du palais présidentiel. Ils étaient 400 000 d’après la police métropolitaine, 50 000 selon la police fédérale… Au lendemain de la marche, le premier chiffre était repris par les journaux d’opposition Clarín et la Nación, quand le second était cité par Pagina 12, quotidien à sympathie kirchnériste. Ce dernier titrait « Sous le parapluie de la mort », dénonçant la récupération du décès de Nisman par les opposants traditionnels au péronisme et à sa version kirchnériste, avant de dénier toute dimension interclassiste au cortège, insistant sur la présence quasi-exclusive des classes moyenne et supérieure. Le même jour, on lisait en une de Clarín  : « Émouvante marche pour Nisman et la vérité », le journal pointant cette fois la reprise en mains par les citoyens de leur destin politique.

Dès l’annonce de la manifestation, l’exécutif avait critiqué l’initiative des juges et s’était montré incrédule sur son caractère apolitique. De fait, l’opposition et toutes ses têtes d’affiche présidentielle étaient présentes, cultivant leur image de « citoyens parmi les citoyens ». Les deux principaux concurrents au parti justicialiste de Cristina Kirchner, le maire de Buenos Aires, Mauricio Macri, à la tête du parti de droite libérale PRO, et le péroniste dissident Sergio Massa sont venus accompagnés de leurs épouses respectives, chemises trempées et regards chargés d’émotion. Sans doute avaient-ils en tête la plongée dans les sondages de Daniel Scioli, candidat justicialiste passé de 30 % d’intentions de vote en décembre à seulement 19 % après la mort de Nisman, loin derrière Massa (28 %) et Macri (21 %). Le 1er mars, en riposte, aura lieu une marche en faveur de la Présidente. L’objectif d’un million de personnes a été lancé sur la page Facebook du gouvernement. Reprendre la rue, pour que la marche du 18 février ne reste pas dans les mémoires comme l’image historique d’une fin de mandat contestée.

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