Cinq mensonges sur la dette grecque

Non, les contribuables français ne paieront pas pour les Grecs. Non, le pays n’est pas redevenu « compétitif ». Oui, une « contagion » serait positive…

Thierry Brun  • 19 février 2015 abonné·es
Cinq mensonges sur la dette grecque
© Photo : Wiktor Dabkowski / Picture-Alliance / AFP

Depuis l’arrivée de Syriza au pouvoir, beaucoup d’impostures et d’approximations circulent autour de la dette grecque. Décryptage.

« La dette coûtera cher aux Français »

« Un défaut sur la dette grecque coûterait 40 milliards d’euros à la France », peut-on lire dans le Figaro  du 23 janvier, ce qui représenterait 735 euros par contribuable. Cet argument selon lequel une difficulté de la Grèce à rembourser sa dette publique conduirait à augmenter les impôts en France est faux. La Grèce ne veut pas faire défaut sur sa dette publique, qui s’élève à près de 325 milliards, mais la restructurer pour la rendre soutenable. D’autre part, la France, qui possède plus de 40 milliards d’euros de titres, a emprunté sur les marchés financiers à un taux bas pour prêter à la Grèce à un taux nettement plus élevé. Le seul impact d’une annulation de la dette publique serait peut-être la perte des recettes correspondant aux intérêts versés par l’État grec. L’agence France Trésor, chargée de la gestion de la dette et de la trésorerie de l’État, emprunterait si nécessaire sur les marchés financiers pour compenser cette perte, sans dommage pour le budget et donc pour les contribuables.

« L’austérité a relancé l’économie »

Axel de Tarlé l’explique dans le   Journal du dimanche du 8 février : « L’austérité, ça paye ! » Selon le journaliste, « à force de baisser les coûts, le pays est redevenu compétitif et les exportations repartent ». Conclusion : « La détestée troïka [^2] a fait du bon boulot ! » La Grèce est pourtant prise dans une spirale catastrophique, entraînant l’effondrement de son économie, en raison des programmes d’austérité de la troïka, et une explosion des taux d’intérêt sur sa dette. Conséquence : celle-ci est passée de 113 % du PIB en 2009 à plus de 175 % en 2014. L’expérience montre en réalité que l’austérité budgétaire imposée par les traités européens en période de crise est insoutenable.

« Une restructuration serait trop risquée »

Un certain nombre de dirigeants européens affirment qu’une restructuration de la dette grecque entraînerait des risques de contagion si la troïka cédait sur le principe d’un défaut partiel. Mais une contagion limitée à la France et à l’Italie, par exemple, associée à une clause de croissance à la grecque sur les remboursements, serait une bonne chose pour l’Europe. Ainsi, la BCE, à raison de 60 milliards d’euros par mois, a décidé de racheter pour 1 100 milliards de dettes publiques et privées jusqu’à fin septembre 2016, au motif de remettre les États membres de la zone euro sur la voie de la croissance. La Banque centrale peut donc résoudre facilement le problème de la dette grecque. Elle pourrait supprimer la part qu’elle détient d’un trait de plume et racheter celle des institutions publiques (États, Fonds européen de stabilité financière).

« Les Grecs sont seuls responsables »

L’endettement en Grèce serait le résultat de la difficulté à collecter l’impôt, et le nouveau gouvernement d’Alexis Tsipras devrait en tirer les conséquences en respectant les programmes d’austérité mis en place par la troïka. En réalité, la dette grecque vient de loin et pas seulement de la corruption généralisée des dirigeants. Elle a quadruplé pendant la dictature des colonels entre 1967 et 1974, et elle a continué de croître avec les dépenses militaires, au bénéfice des entreprises européennes. Les dépenses excessives pendant les Jeux olympiques de 2004 ont certes plombé le budget, mais une grande partie de la dette est due aux attaques spéculatives venant des marchés financiers en 2010, ce qui a mené le pays au bord de la faillite. Les nouvelles exigences de la troïka n’ont fait qu’augmenter le poids de celle-ci.

« Supprimer la dette est impossible »

Dans un entretien exclusif au Figaro, Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne, affirme qu’ « il n’est pas question de supprimer la dette grecque. Les autres pays de la zone euro ne l’accepteront pas ». Cette affirmation renvoie à l’attitude de l’Allemagne, qui insiste pour que la Grèce respecte les termes du contrat en cours avec la troïka, le temps de proposer autre chose si le gouvernement grec le souhaite. En période d’inflation nulle, il faudrait cependant plusieurs dizaines d’années, au mieux, pour rembourser cette dette. Intenable.

[^2]: BCE, Commission européenne et FMI, qui ont mis en place les programmes d’austérité.

Politique
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