Hollande, l’homme qui veut marier l’eau et le feu

Le chef de l’Etat préfère s’attarder sur les grands principes plutôt que remettre en cause sa politique d’austérité.

Denis Sieffert  • 5 février 2015
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Hollande, l’homme qui veut marier l’eau et le feu
© Photos: ALAIN JOCARD / AFP

Le discours présidentiel souffre toujours du même mal : le flou et la passion des synthèses impossibles. Un flou qui résulte d’une contradiction béante entre les promesses qui, toutes, supposent des engagements financiers, et une politique de restriction budgétaire. C’est le constat que l’on peut faire au terme d’une conférence de presse de près de deux heures, au cours de laquelle la laïcité, l’école, la mixité sociale, l’Ukraine, la Grèce, ont été les grands thèmes abordés.

Après avoir rappelé que la France avait été « attaquée dans ce qu’elle avait de plus sacré » , François Hollande a centré son propos sur les « valeurs de la République » . « Tout commence par la laïcité » , a-t-il affirmé, ajoutant qu’ « elle doit se transmettre et doit s’apprendre » . Il a évoqué la nécessaire « maîtrise du français dès la maternelle » , la lutte « contre le décrochage scolaire » , « la revalorisation des lycées professionnels » . Mais, on ne voit aucun signe de cet investissement en direction de l’école et des enseignants dans la politique actuelle du gouvernement. Et rien ne dit que nous allons assister à un tournant. Au contraire.

De même, la lutte soudain revendiquée pour « l’égalité des territoires » et contre « les discriminations insupportables » . François Hollande a fixé pour objectifs « la mixité sociale » et « l’accompagnement pour que le tissu social soit renforcé » , et annoncé la création d’une « agence pour le développement économique » . On se demandera ce que cela signifie alors que les associations sont étranglées et que le chômage continue de croître ?

**Interrogé par une journaliste sur le fameux *« apartheid »dénoncé par Manuel Valls (lire ici), il a certes semblé approuver le constat sans reprendre le mot. Mais au terme d’un développement sinueux dont il a le secret, il est retombé sur ses pieds de libéral plaidant finalement pour la poursuite de la même politique économique. De « l’apartheid » à « moi j’aime l’entreprise », en quelque sorte, même si ces mots n’ont pas été les siens.

Flou et contradictions également à propos de la Grèce. François Hollande se prononce à la fois « pour le respect du vote des Grecs » et « le respect des engagements » de la Grèce – comprendre du gouvernement précédent – devant la troïka. Mais qui ne voit que ces deux impératifs sont parfaitement contradictoires ? On n’en saura guère plus sur la position de la France. « Rien ne serait pire que d’humilier les Grecs » , « mais rien ne serait pire que la Grèce fasse chemin à part » , a-t-il lancé. On a envie de dire « so what ? » François Hollande est toujours taraudé par la passion de la synthèse. Il a même eu un mot d’ironie sur cette façon qu’il a de toujours vouloir marier l’eau et le feu. Mais il y a des synthèses qui sont impossibles : entre le renforcement des missions de l’école et la réduction des moyens ; entre la démocratie grecque et les dicktats de la Banque centrale européenne.

Lire > Le coup d’État financier de la BCE contre la Grèce

À propos de l’Ukraine, François Hollande a réservé à son auditoire un effet : l’annonce d’un déplacement avec Angela Merkel jeudi après-midi à Kiev et vendredi à Moscou. Mais là encore, le flou a régné. Pour proposer quoi ? Quelle offre politique les deux dirigeants vont-ils mettre sur la table pour convaincre Vladimir Poutine ? Mystère.

Un mot sur les journalistes , nos chères consœurs et chers confrères. Ils ont suivi docilement le chemin tracé par le discours liminaire. Il a fallu une heure trente pour que l’un d’entre eux ose demander au Président si les grands principes et « l’esprit du 11 janvier » n’allaient pas « se fracasser » sur la politique économique du gouvernement et sur la « montée inexorable du chômage » . « Pensez-vous qu’on en aura terminé avec la violence parce qu’on aura fait baisser le chômage ? » , a demandé François Hollande en guise de réponse. Et en guise de pirouette. Non, sans doute, mais ça aiderait un peu quand même. Mais on a bien compris que le Président était décidément plus à l’aise dans l’exaltation des valeurs de la République que dans l’analyse des résultats de sa politique économique et sociale.

Lire > Grèce : Hollande cautionne le chantage de la BCE

Politique
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