Le conflit israélo-palestinien et la France : une longue histoire

Politis organisait le 18 février, salle Jean-Dame à Paris, une conférence-débat sur le « conflit israélo-palestinien et la société française », avec notamment Farouk Mardam-Bey. Extraits.

Farouk Mardam Bey  • 26 février 2015 abonné·es
Le conflit israélo-palestinien et la France : une longue histoire
Farouk Mardam-Bey est essayiste, directeur des éditions Sindbad.
© GPO / Getty Images / AFP

En introduction, Denis Sieffert a souligné que « placer ce débat dans le cadre de cette semaine anticoloniale, c’est déjà dire la nature coloniale du conflit israélo-palestinien ». Il a rappelé que le lien de celui-ci avec la société française a toujours été « très étroit pour des raisons historiques, culturelles et parfois affectives ». Nous reproduisons ici une partie de l’exposé de Farouk Mardam-Bey, essayiste, directeur des éditions Sindbad, qui a retracé les grandes étapes de l’implication de la France. Nous publierons prochainement l’intervention de Michèle Sibony, l’une des responsables de l’Union juive française pour la paix.

Farouk Mardam-Bey : Tout le monde s’accorde à reconnaître que ce conflit provoque des passions bien plus fortes que n’importe quel autre dans le monde. Cela s’est vérifié en 1967, en 1973, en 1982 avec l’invasion du Liban, en 1987 avec la première Intifada, en 2000 avec la deuxième Intifada, et jusqu’à la dernière agression contre Gaza l’été dernier. Toutes ces réactions ne nous informent pas seulement sur la perception du conflit israélo-arabe en France, mais aussi sur un certain nombre d’automatismes de pensée qui ont traversé le siècle et sur lesquels on insiste peu. L’aspect le plus pernicieux est l’européocentrisme, en tant que volonté déclarée de domination coloniale, ou l’européocentrisme masqué sous des configurations progressistes ou laïques, comme on le voit souvent. Ce sont ces automatismes de pensée qui ont fait qu’à plusieurs moments charnières on a occulté, en France, l’existence des Palestiniens. Et, lorsqu’on a reconnu leur existence, on a méprisé leur aspiration nationale et on a investi le sionisme, comme toute entreprise coloniale, d’une mission civilisatrice […].

L’après-guerre et la naissance d’Israël

Par réaction à la Shoah, il s’est forgé une unanimité autour de l’idée qu’il fallait réparer ce qui avait été fait aux juifs, aussi bien sur le plan matériel que sur le plan moral. Mais rien n’indiquait que cela devait se réaliser sur le dos des Palestiniens et des Arabes. Alors, comment ce détournement de compassion a-t-il opéré ? Durant la période entre 1945 et 1948, tous les mouvements politiques français étaient bien disposés à l’égard du sionisme. Les gaullistes, d’abord, avaient collaboré avec le mouvement sioniste pendant la Seconde Guerre mondiale lors de la conquête de la Syrie sur les troupes de Vichy en 1941 […]. Chez les socialistes il y avait plus qu’une sympathie, une identification à la gauche sioniste. Léon Blum se disait lui-même sioniste. Au Parti communiste, en théorie antisioniste, on a développé l’idée que le combat des juifs en Palestine prolongeait celui des juifs dans la Résistance française. Et puis il y avait l’URSS de Staline, qui, en 1947, était favorable à l’installation d’un État juif en Palestine, en réaction à l’attitude de la Grande-Bretagne. Dans le milieu catholique, s’exprimait aussi de la sympathie, car l’Église avait beaucoup à se faire pardonner […]. La France a apporté un soutien logistique extrêmement important au mouvement sioniste durant cette période. Mais, sur le plan diplomatique, le quai d’Orsay était assez réservé, non par arabisme ni par antisémitisme, mais parce qu’on craignait les réactions des populations maghrébines. Et, en effet, cette population, au Maroc et en Algérie, faisait savoir à quel point elle était hostile au projet sioniste […].

L’âge d’or franco-israélien

Cette attitude hésitante de la diplomatie française a duré jusqu’en 1954. Tout va changer sous la pression notamment du développement du mouvement national dans les pays du Maghreb et du soutien apporté par l’Égypte et la Syrie à ce mouvement, avec l’idée que l’ennemi de notre ennemi est notre ami et qu’il fallait donc absolument créer une alliance en bonne et due forme avec Israël. Peu à peu, il y a eu des fournitures massives d’armes à Israël. On dit même que Shimon Peres était installé au ministère de la Défense en France. Ce qui s’est traduit par deux événements extraordinaires : la France a entraîné la Grande-Bretagne et Israël dans l’expédition de Suez en 1956 sous le gouvernement de Guy Mollet, et, tout de suite après la défaite de cette entreprise, elle a pris la décision de fournir à Israël la technologie de la bombe atomique […]. L’indépendance de l’Algérie et le rétablissement de relations diplomatiques avec les Arabes créeront cependant une nouvelle ambiance, un rapprochement entre la France et les pays arabes […].

La guerre des Six-Jours et De Gaulle

Un moment décisif fut la guerre de 1967, dite des Six-Jours. Jamais depuis la Seconde Guerre mondiale il n’y avait eu un tel débordement dans les rues. Une telle campagne raciste, anti-arabe et islamophobe, qu’en ces mois de mai et juin. Tous les partis politiques, à l’exception du Parti communiste et de l’extrême gauche, étaient pro-israéliens. Les associations d’anciens combattants et d’anciens résistants, l’Académie française, la presse, les écrivains de renom (de gauche comme de droite), tous s’étaient rangés du côté d’Israël, souvent avec une grande violence […]. Mais De Gaulle a pris une position très réservée. Puis, en novembre 1967, il y a eu cette fameuse conférence de presse dans laquelle il a décortiqué le conflit. On en a retenu juste une expression : « les juifs, peuple d’élite sûr de lui et dominateur ». Mais on a oublié tout le reste, encore valable à ce jour : le mécanisme de la colonisation, de la résistance, de la répression, du terrorisme, etc., expliqués en des termes d’une clarté remarquable. Peu à peu, sous Pompidou puis sous Giscard, s’est constituée en France, au niveau officiel, une doctrine palestinienne qui collait aux résolutions de l’ONU, dont la 242, qui, dans son préambule, refuse l’acquisition de territoires par la force de manière très nette. Jusqu’à maintenant, chaque fois qu’on parle de solutions, on en revient à cette résolution […]. À partir de 1962, on assiste à des changements à la fois démographiques, sociologiques et religieux au sein de la communauté juive, avec l’arrivée des juifs d’Afrique du Nord. Un certain communautarisme inconnu auparavant s’est développé et poursuivi depuis lors. Cela ne s’est pas fait de manière spontanée, il y a eu aussi une politique délibérée de la part de l’Organisation sioniste mondiale en direction des diasporas. Dans un célèbre congrès de cette organisation fin 1967, à Jérusalem, il est dit qu’il faut reconnaître la centralité de l’État d’Israël dans la vie juive et dans le monde entier. Il fallait pour cela se subordonner les grandes institutions juives, le Consistoire, le Fonds social juif unifié et le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), bien entendu, qui était jadis beaucoup plus diversifié dans sa composition […].

Deux moments importants : 1982 et 1987

À partir de 1982, l’opinion française change. On découvrait alors les Palestiniens. Ils n’étaient plus occultés. Il y avait des combattants. Et l’invasion du Liban par Israël a été bien couverte par la presse et la télévision. Les reportages montraient des camps palestiniens, c’est-à-dire des gens, des êtres humains. Et puis ce fut le massacre de Sabra et Chatila. Tout cela a suscité un courant de sympathie malgré les nombreux détournements des faiseurs d’opinion, tels les nouveaux philosophes. En 1987, avec la première Intifada, s’est exprimée là encore une grande sympathie populaire à l’égard des Palestiniens […] La figure était celle du jeune homme lançant des pierres face aux chars. Le déséquilibre des forces sur place a marqué l’opinion publique […]. Mais les Palestiniens sont des Arabes, et ils sont souvent musulmans. C’était aussi la période ou le racisme montait en flèche. Depuis lors, je crois que le soutien au peuple palestinien, tout en se développant, subit le handicap des préjugés anti-arabes et anti- musulmans, avec une interprétation pernicieuse du terrorisme à la Daesh ou autres… Au niveau des pouvoirs, qu’il s’agisse de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande, on peut dire « oui, nous sommes pour la conception d’un État palestinien », mais cela en l’absence de toute position ferme face à la colonisation de la Cisjordanie, à la ghettoïsation de Gaza et à la judaïsation de Jérusalem, lesquelles rendent impossible la création de ce fameux État palestinien.

Idées
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