« Les Merveilles », d’Alice Rohrwacher : L’esprit d’une ruche

Alice Rohrwacher nous fait entrer dans le quotidien âpre et heureux d’une famille apicultrice.

Christophe Kantcheff  • 11 février 2015
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« Les Merveilles », d’Alice Rohrwacher : L’esprit d’une ruche
Les Merveilles , Alice Rohrwacher, 1 h 50.
© Ad Vitam

Deuxième long métrage d’Alice Rohrwacher, les Merveilles nous emmène en Ombrie, où l’on parle italien mais aussi allemand, et où une famille vit de l’apiculture. Les parents (Sam Louwyck et Alba Rohrwacher, la sœur de la réalisatrice), des citadins installés à la campagne, semblent avoir eu des idéaux soixante-huitards, envolés depuis longtemps. Ils travaillent d’arrache-pied pour tenter de rendre vivable leur exploitation et assurer le quotidien pour leurs quatre filles.

Une chronique, donc, avec une large dimension documentaire, notamment en ce qui concerne les abeilles et la culture du miel. Une chronique où le travail occupe une place importante. Car dans cette ferme faite de bric et de broc, tout le monde met la main à la pâte, y compris les filles, en particulier les deux aînées, Gelsomina (Alexandra Lungu) et Marinella (Agnese Graziani). Les filles travaillent sous l’autorité parfois rude de leur père. Mais on ne ressent pas chez elles de souffrance. Le travail des enfants n’est pas autorisé, pourtant le spectateur n’a jamais le sentiment qu’elles sont exploitées – même si on ne les voit jamais à l’école. Elles participent à l’effort collectif, solidaires comme dans une ruche, alors qu’il faut faire face aux difficultés. C’est la vie de cette famille, hors de la modernité, communautaire et ouverte (elle intègre un jeune délinquant en placement contre quelque argent) mais relativement isolée, qui est le centre des Merveilles .

Puis, comme si c’était le destin des films italiens, la télévision y fait son apparition. Une chaîne organise un concours des meilleurs produits du terroir. L’émission est de toute évidence ringarde, avec une animatrice grimée en Étrusque, interprétée par une Monica Bellucci qui n’est littéralement qu’une apparition, jusqu’à ce qu’elle devienne soudain réelle. Mais, chez Alice Rohrwacher, la télévision comme machine à illusions ne fonctionne pas, même si Gelsomina souhaite participer au concours. Sa famille, pourtant en mal d’argent, reste incrédule. La cinéaste parvient à donner à ces séquences une dimension à la fois comique et tendre, parfois à la limite du conte. Les Merveilles montre ce que coûte une forme de marginalité, et ce que celle-ci réclame d’amour. C’est un drôle de film sans pathos, inattendu, comme le grand prix qu’il a glané à Cannes cette année, et « miraculeux » comme l’est le cadeau que le père fait à ses filles, qui trône ensuite dans la cour de la ferme : un chameau.

Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes
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