L’Europe veut la reddition de Tsipras

En lançant un ultimatum, l’Eurogroupe veut forcer Athènes à renoncer à son programme anti-austérité, pourtant approuvé par les Grecs. Le silence de la France face à ce coup de force vaut consentement.

Michel Soudais  • 19 février 2015 abonné·es
L’Europe veut  la reddition de Tsipras
© Photo : AFP PHOTO/ ALAIN JOCARD

Au choix démocratique exprimé par les Grecs le 25 janvier, les dirigeants de l’Union européenne ont finalement choisi de répondre par un… ultimatum. Une mise en demeure rejetée mardi midi par le gouvernement d’Alexis Tsipras, qui s’est dit « déterminé à honorer le mandat populaire et l’histoire de la démocratie en Europe ». « Dans l’histoire de l’UE, rien de bon n’est jamais venu d’un ultimatum », avait averti lundi soir le ministre grec de l’Économie, Yanis Varoufakis, à l’issue d’une réunion de l’Eurogroupe. Une réunion au cours de laquelle les dix-huit ministres des Finances de la zone euro, français compris, ont rejeté les aménagements demandés par le gouvernement grec et sommé Athènes d’accepter d’ici à vendredi l’extension de son programme de redressement. Soit le maintien de la tutelle de la troïka (BCE, Commission européenne, FMI), tout juste assorti de quelques garanties de « flexibilité ». Une promesse destinée à montrer que l’Europe est conciliante, mais jugée « trop nébuleuse » par le gouvernement grec qui l’a qualifiée d’ « absurde et inacceptable » .

Après l’échec d’une première réunion de l’Eurogroupe, le 11 février, et le sommet européen des chefs d’État et de gouvernement qui s’est tenu le lendemain, les négociations avaient pourtant avancé. Lundi, en arrivant à Bruxelles, Yanis Varoufakis s’apprêtait à signer un accord préparé par la Commission européenne qui reconnaissait la gravité de « la crise humanitaire » en Grèce et proposait « une extension de quatre mois de l’accord de prêt » avec ses créanciers. La Grèce acceptait, a expliqué Yanis Varoufakis, à l’issue de la réunion, que cet accord soit assorti de « conditions ». Dans l’attente de la signature d’ « un nouveau contrat » entre Athènes et la zone euro, le gouvernement grec était même prêt à « ne pas appliquer pendant six mois son propre programme », a-t-il détaillé, à la seule condition « de ne pas se voir imposer de mesures créant de la récession ».  Parmi elles, une hausse de la TVA ou une baisse des retraites les plus faibles. Ce projet d’accord avait été présenté lundi matin à Yanis Varoufakis par le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovci. Il « a été remplacé », au dernier moment, avant la réunion, par un texte présenté par Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, a déclaré le ministre de l’Économie grec. Ce retour en arrière des Européens est d’autant plus inacceptable pour Athènes, que « l’extension technique » que l’Eurogroupe lui propose de demander ressemble assez à la proposition faite à l’automne dernier au gouvernement du conservateur Antonis Samaras. Ce dernier l’avait déjà refusée préférant sortir du programme au plus vite. C’est toutefois sur cette ligne dure, intransigeante, que campe l’Eurogroupe. Il est « très clair que le prochain pas doit venir des autorités grecques  […] et au vu du calendrier, on peut utiliser cette semaine, mais c’est à peu près tout », a commenté Jeroen Dijsselbloem, lundi soir. Il a évoqué la possibilité d’une nouvelle réunion exceptionnelle des États membres de la zone euro, avec les mêmes ministres, le 20 février. « À condition que les Grecs demandent une extension et présentent une requête valable », a précisé l’entourage du président de l’Eurogroupe. « Il n’y a pas d’alternative à la prolongation du programme », a renchéri Pierre Moscovici.

Pour les Européens, obtenir une extension de quelques mois du programme actuel, qui expire le 28 février, permettrait de garder la main sur les réformes dictées au pays en échange des prêts de quelque 240 milliards d’euros. Les Grecs, quant à eux, refusent tout ce qui maintiendrait leur pays dans le statut humiliant de « colonie de la dette ». Mais, faute d’un accord rapide, la Grèce, qui ne peut emprunter qu’à des taux prohibitifs sur les marchés et doit faire face à d’importantes échéances de remboursement dans les mois à venir, risque de se retrouver à court d’argent. Avec le risque, à terme, d’une sortie accidentelle de l’euro. Dans ce bras de fer où l’UE propose à la Grèce de continuer la politique du gouvernement précédent, au nom sans doute du droit des peuples à ne pas disposer d’eux-mêmes, la France n’a pas montré jusqu’ici d’empathie particulière envers le gouvernement grec. Sourd aux manifestations de soutien qui se multiplient depuis deux semaines, à Paris comme dans plusieurs capitales européennes, indifférent à la cinquantaine de députés socialistes qui, dans le Journal du dimanche, demandaient que « la France » s’engage « aux côtés de la Grèce » et pèse de tout son poids pour une « réorientation des choix de l’UE », François Hollande, tel un Ponce Pilate contemporain installé à l’Élysée par la nouvelle Rome sise à Bruxelles, se contente de rappeler que le vote des Grecs doit être entendu, mais que les règles européennes doivent aussi être respectées. À la sortie de la réunion de lundi à Bruxelles, le ministre des Finances, Michel Sapin, indiquait à la presse avoir défendu « une position identique à celle  [du] président de l’Eurogroupe et à celle  [du] commissaire Moscovici ». Il s’agit, selon lui, d’une « voie raisonnable » puisque c’est « un chemin balisé,  […] connu des marchés, comme des institutions, comme de l’ensemble des autorités européennes ». Dans cette lutte engagée par l’Europe contre la Grèce, où conservateurs et sociaux-démocrates sont une fois de plus unis pour empêcher toute alternative aux politiques d’austérité qu’ils conduisent avec un mimétisme de frères siamois, Paris semble avoir définitivement choisi son camp. Entre TINA [^2] et Tsipras, c’est l’absence d’alternative imposée par Angela Merkel, la Thatcher du moment, qui a sa préférence.

[^2]: There is no alternative, en référence au slogan attribué à Margaret Thatcher.

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