Swiss Leaks : un épisode de la saga de l’évasion fiscale

Le vaste système d’évasion fiscale organisé par la filiale suisse de HSBC, mis en lumière par les “Swiss Leaks”, n’est qu’une infime partie de cette fraude très active, contre laquelle les États sont mal armés.

Thierry Brun  • 10 février 2015 abonné·es
Swiss Leaks : un épisode de la saga de l’évasion fiscale
© Photo : FABRICE COFFRINI / AFP

Quelques heures après les révélations du Monde et de plusieurs médias internationaux sur l’énorme procédé d’évasion fiscale déroulé par la filiale suisse d’HSBC, deuxième groupe bancaire mondial, Manuel Valls s’est empressé de réagir. Le Premier ministre a assuré que «le gouvernement est très déterminé à lutter contre la fraude fiscale, contre ces paradis fiscaux, et continuera d’agir en ce sens» . Quant au ministre des Finances, Michel Sapin, il a pour sa part jugé que les récentes mesures instaurées contre la fraude fiscale ont permis d’entrer «dans une nouvelle période» . Président de la République en 2009, Nicolas Sarkozy claironnait déjà : «Les paradis fiscaux, la fraude bancaire, c’est terminé.»

“Lux Leaks”, “Swiss Leaks”…

Les enquêteurs du Monde et du consortium de journalistes d’investigation (ICIJ) apportent de nouveau la preuve de l’inefficacité de la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment d’argent. Pas moins de 180,6 milliards d’euros auraient transité, à Genève, par les comptes HSBC de plus de 100 000 clients et de 20 000 sociétés offshore, entre le 9 novembre 2006 et le 31 mars 2007. Qui trouve-t-on sur ces listings ? Des trafiquants d’armes ou de stupéfiants, des financiers d’organisations terroristes, des hommes politiques, des vedettes du show-biz, des icônes du sport ou des capitaines d’industrie…

«Les révélations concernant l’évitement de l’impôt se succèdent : après celle relative à l’optimisation fiscale nommée “LuxLeaks”, le retour de l’affaire HSBC montre, si besoin en était, l’ampleur de l’évitement de l’impôt au plan international. C’est de facto, un véritable système qui est petit à petit révélé» , réagit Solidaires finances publiques.

Le syndicat rappelle que les diverses formes de fraudes fiscales représentent un manque à gagner de 60 à 80 milliards d’euros par an en France. Montant auquel il faut ajouter la fraude dite «sociale» , de 20 à 25 milliards d’euros, provenant essentiellement du travail non déclaré. La déperdition fiscale s’élève ainsi à 1 000 milliards d’euros en Europe.

Et ce sont les paradis fiscaux et les territoires opaques qui opèrent au cœur du business model des banques. La plateforme «Paradis fiscaux et judiciaires» en comptabilise pas moins d’une soixantaine, alors que la liste du gouvernement français ne comporte que huit territoires. Ainsi, depuis janvier 2014, Jersey et les Bermudes ne sont plus des paradis fiscaux pour les autorités françaises. Des sommes colossales s’y réfugient pourtant, en toute impunité, et des centaines de filiales bancaires sont situées à Genève ou à Singapour, à Chypre ou au Luxembourg, à Jersey ou dans les îles Caïmans.

L’apparente volonté de lutter contre la fraude et le blanchiment tourne au grotesque : une soixantaine de milliards d’euros ont quitté la Suisse pour d’autres paradis -fiscaux, après la levée partielle du secret bancaire en 2009. Et il a fallu que des archives numérisées soient dérobées chez HSBC Private Bank, filiale suisse du groupe, par l’informaticien Hervé Falciani, ancien employé de la banque, et qu’elles soient transmises à la fin 2008 aux agents du fisc français pour que la justice puisse mener ses enquêtes, en 2009… Conséquence, certains, au centre d’un véritable empire financier offshore, ont pu échapper au fisc pour des raisons de prescription.

Une loi anti-fraude inopérante

En réalité, les «listings» de Falciani, transmis par Bercy à plusieurs administrations étrangères, ne révèlent qu’une infime partie de l’évasion fiscale et du blanchiment d’argent. En 2001, des fichiers publiés dans les enquêtes de Denis Robert et d’Ernest Backes, ancien responsable de l’informatique à la chambre de compensation internationale au Luxembourg, aujourd’hui nommée Clearstream, ont mis au jour une gigantesque fraude au travers de comptes non déclarés, lesquels impliquaient le système bancaire. La florissante Clearstream n’a été nullement inquiétée.

«Malgré la création de la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale, les plaintes pour fraude fiscale demeurent peu nombreuses, mal ciblées et tardives» , constatait la Cour des comptes française, il y a déjà deux ans.

La loi anti-fraude de 2013 est inopérante et les quelques mesures efficaces proposées sur le front européen ont été rejetées. De plus, «il est impossible de prétendre combattre la fraude fiscale en supprimant des emplois au sein de la Direction générale des finances publiques. Or, celle-ci a perdu 30 000 emplois depuis 2012, dont un nombre important dans les services qui gèrent l’impôt, effectuent un contrôle des dossiers et détectent la fraude» , souligne le syndicat Solidaires finances publiques.

SwissLeaks n’est qu’un épisode de plus à mettre sur le compte de choix gouvernementaux sans grande ambition.

Économie
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