Accueil des personnes âgées : « Je serais révulsé de voir mes parents ici »

L’hôpital Émile-Roux, à Limeil-Brévannes, accueille des personnes âgées dépendantes dans des conditions de plus en plus dégradées.

Thierry Brun  • 26 mars 2015 abonné·es
Accueil des personnes âgées : « Je serais révulsé de voir mes parents ici »
© Photo : DELOCHE / BSIP

Assis dans son fauteuil roulant et attablé, Momo ne fait pas son grand âge. Invalide, l’homme qui fut mécano chez Citroën puis repasseur dans un pressing, est en « séjour longue durée » au centre hospitalier Émile-Roux, près du centre-ville de Limeil-Brévannes (Val-de-Marne). « Ça fait bien dix ans », dit-il. « Plutôt quinze », rectifie Patrick, aide-soignant. De la fenêtre de l’espace déjeuner, au premier étage du service de gérontologie du bâtiment Vinci, Momo peut voir les autres bâtiments, dans l’immense parc. Les voisines de Momo somnolent, la plupart ratatinées dans leur fauteuil, immobiles. À tous les étages des bâtiments du séjour de longue durée, on croise des vieillards livrés à eux-mêmes, recroquevillés dans leur siège, le regard vide. « En long séjour, les “jeunes” ont entre 72 et 75 ans, la plupart ont 90 ans et plus », explique Linda, aide-soignante et assistante en soins de gérontologie. Faute de place, certains déjeunent dans des fauteuils roulants alignés dans le couloir. « On les lève entre 7 h et 9 h et on les couche vers 19 h, 20 h », explique Patrick en soupirant. Entrant dans l’une des chambres nettoyées, il explique que « le service n’est pas adapté pour recevoir autant de fauteuils roulants. Regardez les chambres, deux lits au lieu d’un, les fauteuils ne passent pas… ». Infirmier, Stéphane est seul l’après-midi « pour 38 patients en soins de suite et de réadaptation, sur deux étages. On fait des journées de dix, onze heures. On aime notre métier, mais il n’y a aucune compensation, ni aucune reconnaissance… Les gens sont usés, c’est affolant ! ». Que fait-il en cas d’urgence ? « Avec un défibrillateur pour trois étages et un médecin pour les 900 lits que compte l’hôpital, il faut agir vite, mais les chances de survie du patient sont réduites, d’autant plus qu’il peut y avoir une autre urgence dans le même temps ! » Bruno, un des électriciens de ce centre hospitalier de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), est accablé : « Je serais révulsé de voir mes parents dans cet hôpital. Je culpabilise en voyant nos patients parce que j’imagine que c’est quelqu’un de ma famille qui est ici. »

Peu de psychiatrie dans la loi santé. Mais la plupart des acteurs sont favorables à une loi-cadre spécifique permettant une « refonte des pratiques ». C’était le sens de l’appel du Collectif des 39, signé le 1er novembre 2014 par les 700 participants au meeting organisé à Montreuil (93) sur le thème : « Quelle hospitalité pour la folie ? » Mais pas de loi-cadre programmée, et le plan de santé mentale prend fin en 2015. Le 2 janvier, le collectif Pour une psychiatrie de progrès, think tank sur « les évolutions nécessaires en matière de psychiatrie », a invité les professionnels à « tirer parti du projet de loi de santé ». Et ce en proposant de mettre en lien les acteurs de terrain, notamment lors de la mise en place du Service territorial de santé au public (STSP). Le collectif estime en effet que les Agences régionales de santé (ARS) « n’auront pas les moyens d’étudier les réalités locales ».

À chaque étage, la même indignation domine : « Il n’y a pas d’intimité. On a demandé des rideaux, mais les patients qui n’ont plus leur tête se retrouvent avec d’autres parfaitement conscients, qui s’en trouvent gênés », raconte Sabine, aide-soignante. Une autre lance : « Au rez-de-chaussée, on met les meilleurs patients pour ne pas choquer les gens. Mais plus on monte, plus on se rapproche de Dieu. » Les poignées de porte ont disparu dans les chambres. À certains endroits, la peinture est recouverte par les traces de fuites d’eau, des radiateurs sont couverts de rouille, les toilettes sont dans un état de dégradation avancé. Quand on entre dans une des salles de douche du service, on découvre des murs décrépis ; des rampes d’appui, indispensables aux personnes âgées pour se mouvoir, manquent à l’appel. Et, là aussi, les fuites laissent voir des traces inquiétantes au plafond. « Des têtes de lit lumineuses tombent en décrépitude, souligne l’électricien. Il manque des pièces. On est obligé de bricoler des circuits sous tension qui n’ont pas de protection. Dans les offices alimentaires, on n’a plus suffisamment de pièces pour réparer les lave-vaisselle, et les ascenseurs tombent régulièrement en rade. » Sans parler des éclairages qui ont disparu ni du système informatique souvent en panne, se plaignent des infirmières. À l’entrée du bâtiment Buisson-Jacob, Frédéric Lopez, aide-soignant et syndicaliste à SUD Santé, montre les dalles manquantes recouvertes de scotch gris : « Ce devait être désamianté ici, mais c’est trop cher. Alors on pose du scotch pour protéger les surfaces endommagées. Et l’AP-HP prétend qu’elle respecte la réglementation… »

Cachée à la vue du public, l’arrivée aux urgences a lieu dans des couloirs détériorés et sinistres. Mais, surtout, « on ne sait pas prendre en charge une personne âgée, autonome chez elle, qui se fracture le col du fémur, explique Olivier Youinou, infirmier anesthésiste et syndicaliste de SUD Santé. Elle passe donc au bloc à Henri-Mondor [dont dépend Émile-Roux, NDLR] après tout le monde, car elle n’est pas dans le programme d’activité. Il lui faudra parfois attendre plusieurs jours. Et elle arrive en soins à Émile-Roux dans un état clinique dégradé ». Les infirmiers et aides-soignants mettent en cause la tarification à l’activité, « déjà appliquée pour les soins, qui sera généralisée l’année prochaine », assure Frédéric Lopez. « Cette tarification ne permet pas de faire de l’urgence », dénonce encore Olivier Youinou. « Dire qu’on va garder un patient 45 jours dans nos services, sachant qu’on n’a pas de kiné pour le rééduquer et qu’on n’a pas assez de personnel pour le prendre en charge, c’est n’importe quoi », renchérit Frédéric Lopez, qui prévient : « En gériatrie, les choses vont empirer. Cette tarification est une ineptie. » D’autant que le groupe Henri-Mondor est touché par des mesures d’économies. Dix millions d’euros d’efforts sont programmés pour « être à l’équilibre en 2016 », lâche Olivier. À tel point que Martine Orio, directrice du groupe hospitalier, a signalé lors d’une commission budgétaire que, « sans mesures d’investissements qui permettront d’aider au développement de l’activité ou de l’efficience, non seulement pour 2015 mais également pour les années à venir, le groupe risque de ne plus assurer sa trajectoire à l’équilibre et ne peut rester sourd aux alertes sociales exprimées » .

Contactée par Politis, la direction tempère cependant : « On nous demandait des efforts financiers importants qui ont depuis été revus à la baisse, ce qui permet de ne pas toucher aux emplois. » Les syndicalistes de SUD Santé sont cependant loin d’être convaincus : « Les conditions d’accueil, de qualité et de sécurité de soins aux patients n’y sont plus. Le cœur de l’hôpital n’est plus assuré. Et le chef du pôle gériatrique du Val-de-Marne nous a prévenus que, si l’on n’atteignait pas les objectifs d’activité, on nous enlèverait des moyens et des emplois d’aides-soignants », s’inquiète Olivier Youinou. Les personnels, eux, tirent le signal d’alarme sur le sort peu enviable des vieillards du centre hospitalier, pourtant réputé l’un des hôpitaux les plus sûrs de France en termes d’hygiène, et l’un des plus grands en Europe en matière de gériatrie…

Société Santé
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