EELV : Les Verts au bord du divorce ?

La question d’un retour d’EELV au gouvernement se poserait en cas de remaniement après les départementales. Certains écologistes se disent prêts à quitter le parti si celui-ci y met trop de conditions.

Patrick Piro  • 19 mars 2015 abonné·es
EELV : Les Verts au bord du divorce ?
© Photo : AFP PHOTO / KENZO TRIBOUILLARD

Grand marasme stratégique chez les écologistes. À quelques jours des élections départementales, la polémique va bon train entre certains de ses cadres autour de l’hypothèse d’un retour de ministres EELV au gouvernement. C’est le souhait des « pragmatiques », comme les désigne le député Denis Baupin, auquel s’adjoignent notamment les coprésidents du groupe écologiste Barbara Pompili et François de Rugy, ainsi que le sénateur Jean-Vincent Placé. Alors que l’ex-ministre du Logement Cécile Duflot y est fermement opposée au vu des conditions actuelles, c’est-à-dire les mêmes, selon elle, qui ont justifié son départ du gouvernement il y a un an : une politique d’austérité renforcée ainsi que l’intérêt secondaire du couple exécutif pour l’écologie, incompatibles avec la reconduction de l’alliance gouvernementale assumée pendant deux ans par EELV. La température, entretenue par des déclarations médiatiques croisées, est montée de quelques degrés quand Cécile Duflot a évoqué la participation des écologistes à « l’émergence d’une nouvelle force politique » pour « sortir du cadre actuel »  [^2]. L’ancienne secrétaire nationale professe depuis des mois son ambition de rassembler au-delà de son parti, et son désir d’être candidate pour la présidentielle de 2017 ne fait plus mystère. « Elle signe en quelque sorte l’acte de décès d’Europe écologie-Les Verts », déplore François de Rugy sur Radio classique. Le parti écologiste serait-il au bord de la scission, comme certains commentateurs le suggèrent ?

À en croire Céline Bracq, « le divorce est donc bel et bien consommé entre Cécile Duflot et sa base électorale, ce qui lui rend la tâche particulièrement difficile si elle souhaite se présenter à nouveau à l’élection présidentielle ». La directrice générale d’Odoxa commentait samedi dernier un sondage réalisé par son institut pour le Parisien, d’où il ressortait que « 92% des sympathisants écologistes sont pour un retour d’EELV au gouvernement ». Une non-information, le parti ayant toujours professé sa vocation à gérer les affaires. Et comme on n’a pas demandé aux 1 008 sondés à quelle condition ils appuieraient un tel retour… Par ailleurs, ils sont 60 % à estimer qu’EELV risque d’imploser. Une même proportion, selon Odoxa, redoutaient il y a quelques semaines un sort identique pour l’UMP et le PS. Et par ailleurs, Cécile Duflot ne s’est jamais présentée à la présidentielle…

C’est aller vite en besogne, même si la perspective d’une rupture semble dans les têtes, et même « programmée », estime Lucile Schmid, membre du bureau exécutif du parti et ex-cheffe de file de la Motion participative (gauche du parti). Cécile Duflot, pour sa part, ne croit guère qu’à quelques départs isolés, car le parti serait « à 80 % » sur sa ligne (voir encadré). Il s’agit de la proportion d’alliances locales passées par EELV en dehors du Parti socialiste à l’occasion des départementales [^3]. Même si cet instantané électoral ne vaut pas sondage, il corrobore peu ou prou le rapport de force interne d’un conseil fédéral (le « parlement » des écologistes), qui a largement approuvé l’analyse livrée par l’ancienne ministre et son collègue Pascal Canfin pour justifier leur départ du gouvernement. « La fraction de militants prêts à y retourner sans condition est très minoritaire, de l’ordre de 10 à 15 % au plus », affirme Pascal Canfin, qui veut un « contrat de coalition, d’une dizaine de points clés pour un programme exécutif » préalable à tout nouvel accord de gouvernement. Vœu pieu, puisque ce document n’existe pas plus qu’en 2012. Dès lors, les « conditions » évoquées à gré par les uns ou les autres ont bon dos, prétexte ad hoc pour « y aller quand même » ou bien « à aucun prix », sur fond de rêve de maroquin pour les uns ou d’incompatibilité de caractère entre Cécile Duflot et Manuel Valls. « Certains chez nous sont tellement exigeants qu’ils ferment de fait la porte », regrette Barbara Pompili. La députée, qui défend que les écologistes pèseront mieux à l’intérieur du gouvernement qu’à l’extérieur, n’est pas rebutée par l’affirmation d’un François Hollande qui ne changerait ni de politique ni de Premier ministre quel que soit le résultat des départementales. « En revanche, j’ai entendu l’inflexion de son discours sur le climat ou l’énergie. Des lois sont à défendre, sur la biodiversité, la santé environnementale, etc. S’il y a des ouvertures, il serait irresponsable de ne pas y aller, il reste deux ans de mandature devant nous. » Devant le risque réel de voir le contrôle de la situation lui échapper, le bureau exécutif du parti a imposé la semaine dernière une consultation électronique du conseil fédéral en cas de proposition de postes par le Premier ministre. Mais le garde-fou semble vain dans un parti qui n’a pas su anticiper une tension aujourd’hui parvenue à sa limite. « Tout dépendra de la proposition de Valls », évalue Denis Baupin, qui relève que François Hollande a reçu les socialistes « frondeurs », signe donc qu’il serait prêt à des concessions recevables. « Si elle comporte des inflexions significatives auxquelles les instances du parti ne seraient pas favorables, alors oui, des choix s’opéreront… Entre ceux qui sont frontalement opposés au gouvernement et les autres, le grand écart est de plus en plus prononcé. »

Le député, sous couvert du « club de réflexion » Repères écologistes, âgé de 6 mois et regroupant les « pragmatiques », invite le 4 avril prochain à un débat intitulé « Quelle responsabilité aujourd’hui pour les écologistes? ». À la table, des personnalités de la mouvance écolo proche du centre et du centre-droit [^4]. Denis Baupin se défend de se prêter à une manœuvre « pro-Hollande », le Président suscitant l’émergence d’un parti concurrent d’EELV, comme l’avait fait François Mitterrand en 1990 avec Génération écologie pour affaiblir des Verts trop exigeants à son goût. « Un sorte de PRG vert, un pseudopode du PS qui lui devrait tout ?, brocarde un Pascal Canfin dubitatif. La fuite ne concernerait qu’une poignée de militants, opération vaine pour Hollande qui ne rallierait pas EELV en 2017, renforçant même la détermination de Duflot de se présenter. »

[^2]: Libération, 8 mars.

[^3]: Voir Politis n° 1341, 19 février.

[^4]: Dont Jean-Luc Bennahmias (Front démocrate), Corinne Lepage (Cap 21), Antoine Waechter (Mouvement écologiste indépendant), Yves Piétrasanta et France Gamerre (Génération écologie).

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