Enfant en danger ? Prouve-le !

De l’arrivée à Roissy à l’hébergement en famille d’accueil pour les plus chanceux, les mineurs isolés étrangers vivent un parcours du combattant.

Pauline Graulle  • 12 mars 2015 abonné·es
Enfant en danger ? Prouve-le !
À lire : la revue Plein Droit , éditée par le Gisti, « Mineurs isolés, l’enfance déniée », n° 102, oct. 2014.
© AFP PHOTO / MEHDI FEDOUACH

C’est un grand garçon noir, sac à dos rose vif sur les épaules, qui brandit la photocopie de ses papiers et un carnet de liaison du collège Valmy (Paris Xe). « J’ai des papiers, j’ai 16 ans, je suis en 4e, mais ils disent que je suis majeur ! », lance Mouri, plein de colère. Devant les quelques journalistes venus assister à cette conférence de presse en plein air à l’invitation du DAL (Droit au logement) et du 115 des particuliers (association d’aide aux sans-abri), Mouri pointe du doigt l’autre côté du boulevard de La Villette : c’est là que se trouve la Permanence d’accueil et d’orientation des mineurs isolés étrangers (Paomie) de Paris.

Dans ce discret bâtiment aux vitres fumées et aux grilles fermées – on n’y entre et on n’en sort qu’avec la clé de l’agent de sécurité –, France Terre d’asile, association délégataire de l’Aide sociale à l’enfance (ASE), a accueilli, en 2014, 1 077 jeunes venus des quatre coins du monde. Après une attente interminable aux guichets pour présenter leurs papiers (s’ils en ont) et passer le fameux entretien d’évaluation, seuls 630 d’entre eux ont été reconnus « mineurs ». Ce qui les a rendus inexpulsables et leur a ouvert le droit à une prise en charge par l’ASE (hébergement en foyer ou en famille d’accueil, accès à des formations…) jusqu’à leurs 18 ans – voire leurs 21 ans s’ils peuvent signer un contrat jeune majeur. Les autres, ceux qui ont été déclarés « majeurs » par la Paomie, ont retrouvé la rue ou un matelas de fortune chez un marchand de sommeil. Peu ont fait valoir leurs droits en recourant à l’Adjie, cette association d’aide aux jeunes isolés étrangers qui peut saisir le juge des enfants, lequel pourra ordonner une expertise osseuse. Mouri, lui, a tenté le coup, après avoir vécu une situation kafkaïenne. D abord reconnu comme mineur, il a été logé à l’hôtel par l’ASE. Puis, affirme-t-il dans un français presque parfait, « on m’en a chassé parce que mes papiers n’étaient, paraît-il, pas bons. Aujourd’hui, je dors dans mon collège. La vérité, c’est qu’on arrive en France pour une vie meilleure et qu’on nous y maltraite ». Après des semaines ou des mois de voyage dans le froid et la peur, Mouri, comme tant d’autres mineurs isolés étrangers (MIE), partis de chez eux pour échapper à la guerre, à un mariage forcé ou à une famille violente, espérait souffler, une fois le pied posé en France. C’est raté. Dans le pays des droits de l’homme, il ne fait pas bon être sans papiers. Même quand on est encore un enfant. L’étape clé à franchir, c’est la « moulinette », comme on dit dans le jargon. Entendez la Paomie à Paris ou le Pemie (Pôle d’évaluation pour MIE) à Bobigny (Seine-Saint-Denis) – deuxième ville qui, proximité de l’aéroport de Roissy oblige, accueille le plus de MIE en France. Financées par les conseils généraux, seules collectivités responsables de la protection de l’enfance, ces plateformes servent à « trier » les mineurs et les majeurs. Scellant des milliers de destins chaque année, elles font l’objet de toutes les polémiques.

« Les délais d’attente entre le moment où le jeune se présente et son éventuelle orientation sont parfois de plusieurs semaines : pendant ce temps-là, les gamins sont livrés à eux-mêmes », déplore Jean-François Martini, juriste au Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), qui condamne « les méthodes très discutables de ces plateformes, notamment à Paris ». Où les pièces d’identité sans photo – la majorité – sont rarement considérées comme valides. Et où l’entretien que font passer les travailleurs sociaux ressemblerait moins à un entretien psy qu’à ceux que l’on fait passer à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) :  « Loin d’être bienveillant, il consiste à essayer de trouver la faille pour écrémer un maximum ». Le juriste évoque aussi la transmission de certaines informations à la préfecture. « Or, les mineurs devraient pouvoir confier leur histoire telle quelle à l’ASE, qui devrait la garder au titre du secret professionnel. » « Je ne nie pas que l’accueil et les critères de reconnaissance de la minorité des personnes pourraient être améliorés, reconnaît Pierre Henry, président de France Terre d’asile, qui gère plusieurs plateformes d’accueil d’urgence en France. Mais le fond du problème, ce n’est pas de faire le tri entre les mineurs et les majeurs, c’est que l’État ne s’occupe pas des majeurs sans papiers ! » Dans un contexte de restrictions budgétaires drastiques dans les départements, l’ASE n’a en tout cas pas intérêt à prendre en charge trop de mineurs, sous peine de voir son budget grossir d’autant. D’où le coup de gueule de Claude Bartolone en 2011. Président du conseil général de Seine-Saint-Denis à l’époque, il avait décidé de refuser l’accès des MIE à l’ASE. Lesquels s’étaient retrouvés à squatter devant le tribunal de Bobigny pendant plusieurs jours. But de l’opération : attirer les médias afin de réclamer que l’accueil ne se fasse plus en fonction du lieu où le mineur a posé le pied, mais qu’il soit réparti entre les départements. Las, sous les diverses pressions des politiques, la circulaire obligeant à une répartition entre départements est tombée à l’eau. Et les conseils généraux ont continué à se refiler la patate chaude : « Certains, comme les Hauts-de-Seine, sont entrés en résistance, refusant de se voir envoyer des jeunes, indique Jean-François Martini. Dans le fond, la question financière est un peu du bluff : rapporté au budget d’un département, un MIE ne “coûte” vraiment pas grand-chose. »

Pas davantage, en tout cas, qu’un enfant de l’ASE « ordinaire ». Et pourtant : « De manière imperceptible, l’ASE demande plus aux MIE qu’aux autres de montrer de la reconnaissance. Elle leur rappelle, mine de rien, qu’ils ont une dette vis-à-vis de la France », remarque une psychologue travaillant avec ces jeunes. « Dans certaines familles d’accueil, on leur demande d’accomplir plus de tâches ménagères parce que ce sont des gamins plus ‘‘dociles’’ », ajoute le responsable de l’ASE d’un département de région parisienne. Et de pointer également le manque de formation des éducateurs, démunis quant à la prise en charge d’enfants parlant mal le français, souvent gravement traumatisés – les phobies de l’eau sont fréquentes –, et qui tombent de haut en découvrant que la France n’est pas l’eldorado qu’ils imaginaient. Résultat, entre préjugés collectifs, dysfonctionnements institutionnels, mauvaise volonté politique et gestion comptable des flux, « l’étrangeté » de ces immigrés a fini par primer sur leur condition de mineurs à protéger. « Que ce soit chez certains professionnels de l’ASE, chez beaucoup de politiques, ou même chez certains juges des enfants, on a l’impression que tout le monde a peu à peu fini par considérer les choses du point de vue de l’immigration et non plus du point de vue de l’enfance en danger, regrette Jean-François Martini, du Gisti. Résultat, plus de la moitié des étrangers qui arrivent en France en se disant mineurs sont rejetés des circuits de prise en charge. » Une situation qu’a plusieurs fois condamnée la Commission nationale consultative des droits de l’homme, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies ou le Défenseur des droits. Rien n’a changé pour autant.

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