« L’accueil des jeunes étrangers est le royaume de l’arbitraire »

Le Réseau éducation sans frontières (RESF) a lancé une pétition contre les tests osseux supposés déterminer si un étranger est mineur ou non.

Ingrid Merckx  • 12 mars 2015 abonné·es
« L’accueil des jeunes étrangers est le royaume de l’arbitraire »
© Photo : CITIZENSIDE / JALLAL SEDDIKI / AFP

Plus de dix mille personnes – médecins, avocats, juristes, psychologues – ont signé la pétition contre les tests d’âge osseux lancée le 17 janvier dans le Monde par RESF. Elle dénonce la condamnation de jeunes gens accusés de mensonge sur leur âge, d’usurpation d’identité, de faux et usage de faux, ainsi que les lourdes sanctions financières qui en découlent. Les exclus de l’Aide sociale à l’enfance se retrouvent à la rue et sans ressources. Le principe même de ces tests est contesté, mais aussi leur fiabilité médicale. Les explications de Brigitte Wieser, membre de RESF.

Quel est l’enjeu de la pétition contre les tests osseux ?

Brigitte Wieser : La pétition vise à introduire l’interdiction de ces tests dans la prochaine loi Taubira, censée pallier la circulaire du 31 mai 2013 relative aux modalités de prise en charge des jeunes étrangers isolés. Cette pratique s’est généralisée, même pour les jeunes qui présentent des papiers d’identité : certains juges rejettent des actes de naissance au motif que le document n’aurait pas été « édité de manière sécurisée ». Pourtant, l’article 47 du code civil stipule que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi ». Au-delà du problème d’inversion des principes – suspicion de majorité plutôt que présomption de minorité –, ces tests ne sont pas fiables (voir ci-contre). Nous demandons une prise en charge réelle de tous les mineurs isolés et que le doute leur bénéficie. En outre, nous voudrions que tous les lycéens, étudiants et apprentis de 18 ans soient régularisés.

Pourquoi cette pression récente autour des MIE ?

Quand RESF s’est créé, en 2004, l’Aide sociale à l’enfance (ASE) faisait son travail et accueillait ces jeunes. Ce n’est plus le cas depuis 2011. À Paris, il a même été question d’une réforme de l’ASE lors d’un rendez-vous de travail avec Dominique Versini, adjointe au maire, début février. Le 30 janvier 2015, le Conseil d’État a retoqué la circulaire Taubira sur la répartition des MIE entre les départements. Actuellement, ceux-ci peuvent refuser d’accueillir des MIE. On estime à plus de 7 000 les jeunes reçus par l’ASE, dont presque un tiers en région parisienne. Beaucoup sont à la rue. Ils représentent au maximum 6 % des jeunes suivis par l’ASE en France (voir encadré page 17).

À Paris, les mobilisations se poursuivent devant la Permanence d’accueil et d’orientation des MIE (Paomie). À quel point la situation est-elle critique ?

La situation est devenue alarmante depuis la rentrée scolaire, notamment quand la Fidl, syndicat lycéen, a dû accueillir des MIE dans ses locaux. RESF avait remis dès août à la mairie une liste de lycéens à la rue. Sur les 74 jeunes inscrits, 22 ont bénéficié d’une prise en charge : hébergement pérenne, repas, suivi éducatif ; 16 ont été « mis à l’abri », ce qui signifie un toit et rien d’autre, parfois un repas le soir ; 34 sont dehors : dans des gymnases ou à la rue. Certains sont accueillis chez des militants ou dans leur lycée même. Mais les établissements ferment le week-end et pendant les vacances…

Comment se déroule l’accueil à la Paomie ?

Même principe que pour les adultes à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) : la procédure est fondée sur un entretien et un « récit de vie ». Certains jeunes se font écarter tout de suite parce que présumés majeurs. D’autres parce qu’un élément de leur récit fait l’objet d’un doute ou ne paraît pas « cohérent ». Il suffit que le jeune se trompe ou reste vague sur un détail ou une date, et la porte se ferme. C’est le royaume de l’arbitraire. L’interprétation est désormais sous-traitée par l’ASE à l’association France Terre d’asile, dont ce n’était pas la vocation initiale, et qui se retrouve à faire le tri.

Quelles solutions pour les exclus de l’ASE ?

Il reste une petite porte d’entrée : les contrats jeunes majeurs. Ils ont été mis en place par Valéry Giscard d’Estaing en 1974, lors du passage de la majorité de 21 ans à 18 ans. Le principe : un jeune devenant majeur peut continuer à bénéficier d’une protection de la France s’il est engagé dans un projet de formation. Ces contrats sont très peu utilisés. De nombreux lycéens étrangers sont mis à la porte de l’ASE à 18 ans et se retrouvent à la rue. Ils sortent alors de nos radars. La maire du XXe arrondissement de Paris nous a lancé : « Vous n’avez qu’à les prendre chez vous ! » C’est ce que beaucoup de militants font déjà, mais ça n’est pas une solution.

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